La référence à Primo Levi est évidente. Le propos ne l’est pas moins. Il s’agit de rappeler ce que fut cette "abomination que le monde a résolu d’oublier", pour reprendre les mots de François Mauriac. A côté d’Auschwitz, le camp de Ravensbrück est monstrueusement discret. Non pas parce qu’il fut un camp réservé aux femmes, que les détenues n’étaient pas exclusivement juives, mais aussi résistantes, communistes, témoins de Jéhovah ou prostituées, mais parce que l’extermination se faisait lentement, comme le soulignait Germaine Tillion qui y fut prisonnière en même termps que Geneviève de Gaulle-Anthonioz, les deux dernières femmes panthéonisées.
Entre 1939 et 1945, plus de 130 000 femmes, dont 8 000 Françaises, furent détenues à Ravensbrück, au nord de Berlin. On estime entre 30 000 et 90 000 le nombre de celles qui y périrent. Il y avait pour cela le travail forcé dans l’usine de munitions Siemens toute proche, la faim, les brimades, les morsures des chiens, les tortures et les expériences pseudomédicales.
Comme pour Vera Atkins, une femme de l’ombre (Seuil, 2010), Sarah Helm a collecté les témoignages. Cette journaliste britannique indépendante - elle a travaillé pour The Sunday Times et The Independent à Londres - a accompli un travail remarquable pour faire la biographie de Ravensbrück. Biographie en effet, car ce sont les victimes et les bourreaux que l’on entend dans cette enquête. Ce sont les voix des prisonnières qui ressurgissent avec leur cortège de souffrance, de peur et d’abandon.
Mais Sarah Helm décrit aussi la gardienne en chef Johanna Langefeld, une enfant malade noyée dans le lac voisin par un SS, les visites de Himmler, les prisonniers livrés par Staline à Hitler à la faveur du pacte germano-soviétique dont Margarete Buber-Neumann, le docteur Walter Sonntag qui prélevait des cobayes pour ses expériences sur la stérilisation ou Zofia Kawinska, une victime qui montre ses jambes à Sarah Helm : "Ils y ont mis des bactéries, du verre et des bouts de bois, et ils ont attendu."
Dans ce monde à part, la volonté de survivre fut déterminante, même si elle n’était pas suffisante. Il fallait tenir, comme disait Germaine Tillion, pour pouvoir raconter. L. L.