Depuis sa mort en 68 après Jésus-Christ, contraint de se suicider pour échapper aux glaives de ses propres soldats, Néron (37-68) est en procès perpétuel. Si, comme l’écrit l’historien Donatien Grau, qui se penche sur son cas, "aucun empereur [romain] ne peut entrer en compétition avec [lui] pour la postérité", c’est peu de dire que sa figure, son règne, sa place dans l’histoire sont contrastés, font toujours l’objet de controverses. Selon les auteurs et les époques, on le dépeint comme un malheureux enfant, ultime rejeton d’une "famille" terrible, les julio-claudiens, trop tôt poussé au pouvoir. Comme un tyran sanguinaire qui, le premier, fit persécuter des chrétiens, accusés d’avoir allumé le grand incendie qui ravagea Rome, en 65. Comme un artiste incompris, un visionnaire qui a créé un style architectural avec sa Domus aurea et favorisé les créateurs de son temps. Ou encore comme un débauché, un pervers, un assassin… Néron fut sans doute tout cela, et peut-être d’autres facettes de sa personnalité formidablement complexe demeurent-elles dans l’ombre.
Pourtant, que de littérature (au sens large, incluant, à l’époque moderne, la chanson, le cinéma, la BD…) il a suscité, et ce dès son vivant : avec, par exemple, les écrits thuriféraires de son maître Sénèque, lequel s’en repentira vite. Puis, après sa mort, jugé très sévèrement par Tacite ou Suétone. Mais étaient-ils des "historiens", au sens contemporain du terme ? "Qui croire ? Que croire ? Qu’est-ce que Néron ?" questionne Donatien Grau dans son livre érudit, exhaustif, passionnant, qui court sur deux mille ans d’histoire, jusqu’à Star Trek, Bob Dylan ou U2 : "Tu voulais les violons, et tu as eu Néron" (Mercy, 2004). La meilleure réponse se trouve dans "Un amateur de supplices", une nouvelle de Paul Morand des années 1970. Il n’y a qu’un écrivain pour rendre une telle démesure. J.-C. P.