2 FÉVRIER - ROMAN Etats-Unis

Michael Cunningham- Photo RICHARD PHIBBS/BELFOND

Peter Harris a tout pour plaire. La quarantaine séduisante, un loft à Soho, une galerie d'art contemporain, une fille de 20 ans à l'université, pas mal d'amis et encore plus de relations. Il a aussi une femme, Rebecca, une éditrice de revue d'art, dont la douceur et l'intelligence lui permettent de continuer à coucher avec elle sans oublier tout à fait l'éblouissement des premières fois. Bref, Peter vieillit, et cela ne lui va pas si mal au teint, et le monde lui apparaît toujours comme une promesse.

Seulement voilà, l'ordre et la beauté, le luxe et le calme, ne sont rien lorsque paraît l'enfant. En l'occurrence, Ethan, dit "Mizzy" (diminutif de mistake, "erreur" en anglais...), le jeune frère de Rebecca, un toxicomane de 23 ans, beau comme tout, et d'abord, comme les secrets les mieux gardés de Peter, la disparition vingt ans auparavant de son frère Matthew, victime du sida, l'ombre noire permanente de la mort autour de lui. Peter paiera le prix pour n'avoir pas compris à temps que la tombée du soir charrie toujours son lot de chagrin...

Les égarements de Peter Harris forment la trame de Crépuscule, le nouveau et cinquième roman de Michael Cunningham. Jamais peut-être l'auteur des Heures (Belfond, 1999) et de La maison du bout du monde (Presses de la Renaissance, 1992) n'était parvenu à imposer une ligne mélodique pareillement tenue, toute de grâce et de tristesse. Car ne nous y trompons pas, même si son appétence pour le roman sentimental et le récit d'analyse psychologique peuvent inciter à minorer son oeuvre, Cunningham est bien l'un des très grands romanciers américains de ce temps. Lors de la parution de Crépuscule aux Etats-Unis, la critique, conquise, en a appelé à James et à Joyce... On se contentera d'évoquer, et c'est déjà pas mal, le Fitzgerald de Gatsby, le Salter d'Un bonheur parfait ou le McInerney de La belle vie, tous ces grands romans de la perte et du désamour. Plus que jamais, sans se laisser distraire par un quelconque impératif introuvable de modernité (tout en intégrant au fil du récit de façon très subtile ses signes d'époque, comme ce requin de Damien Hirst, exposé au MET, rendu à la sérénité figée de la mort), Cunningham s'affirme comme le romancier du lien défait, du trauma familial, de l'impossible consolation du désir. La dimension homosexuelle de son oeuvre, très présente ici comme dans les romans précédents, doit être comprise comme constitutive d'un ensemble plus vaste, l'ample tableau des tristesses d'un homme au mitan de sa vie. Il ne s'agit donc pas tant d'une "délocalisation" new-yorkaise de Mort à Venise que du tableau d'un temps, le nôtre, où le souvenir recouvre peu à peu toute vie, tout espoir, comme autant d'épiphanies délicatement douloureuses. On n'oubliera pas de sitôt le chagrin de ce Peter Harris qui s'aperçoit que le temps, qui jusqu'alors pour lui ne faisait que passer, un jour a décidé de fuir sans crier gare. Laissant derrière lui un homme en larmes et un romancier au sommet de son art.

17.02 2015

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