Derrière le nouvel album d'Emile Bravo, premier d'une tétralogie, il y en a un autre. En 2008, Spirou, le journal d'un ingénu (voir LH 728, du 4.4.2008, p. 24) s'inscrivait dans la jolie collection « Une aventure de Spirou et Fantasio vue par... », lancée par Dupuis avec un auteur ou un duo d'auteurs différent par titre pour dépoussiérer l'image de ses héros fétiches. Il en constituait le 4^e opus. Mais, il s'est attiré tant de louanges de la presse, a reçu tant de prix et obtenu un tel succès commercial que son auteur et son éditeur ont rapidement envisagé une suite.

De fait, Emile Bravo ne se contentait pas de donner une interprétation personnelle du jeune héros belge. Se situant en 1939, replaçant Spirou dans son métier de groom au Moustic Hôtel - le fameux costume rouge à bandeaux noirs ! - dont l'avait affublé son créateur, Rob-Vel, en 1938, il imaginait sa jeunesse avec une malice calculée. Tout en conservant sa naïveté caractéristique, il le montrait amoureux, se frottant à la politique ou à la religion. Il recréait sans les trahir les fondements du personnage, dont Jijé pendant la Deuxième Guerre mondiale, puis Franquin ou Fournier après allaient faire l'aventurier que l'on sait pour des générations d'enfants.

Il lui a fallu dix ans pour donner un prolongement à ce travail, mais quel prolongement ! A travers le quotidien du jeune Spirou et d'un Fantasio toujours désespérément bête et gaffeur, le dessinateur va déployer sur quatre albums, dont la parution s'étalera jusqu'à novembre 2020, une vaste fresque sur la vie dans la Belgique occupée par l'armée allemande.

Le premier donne le ton. De janvier 1940 aux premières semaines de l'occupation après l'invasion allemande le 10 mai, Emile Bravo fait ressortir avec un humour grinçant la désagrégation de l'armée et du pays. Il montre le désarroi qui gagne, comme la lâcheté ou la volonté de résistance. Sans cesse en mouvement, Spirou cherche désespérément des nouvelles de son amoureuse germano-polonaise d'origine juive, Kassandra, extradée par les Soviétiques vers l'Allemagne nazie après le pacte germano-soviétique. Autour de lui et de Fantasio, conscrit égaré, un couple de peintres - lui allemand, elle polonaise - juifs non religieux réfugiés à Bruxelles, un directeur d'hôtel antinazi, des policiers en conflit de loyauté ou un directeur de journal collaborationniste. Toute une population qui prend la mesure d'un changement de régime.