Même si Louis XIV n’a jamais prononcé le fameux "L’Etat c’est moi" que l’imagerie d’Epinal lui attribue, ainsi que le rappelle Joël Cornette, rarement un souverain se sera autant identifié à son pays, politiquement, mais aussi physiquement, charnellement. Au point de lui avoir fait don de son âme et de son corps, incarnation de la royauté, du pouvoir, du faste, et même de la mort. Le tout théâtralisé, mis en scène méticuleusement par le monarque en personne qui fut, dans sa jeunesse, grand amateur de comédie, de danse, de spectacles où il se produisit lui-même à Versailles, ce délirant écrin bâti autour de sa personne.
Dès le 11 août 1715, lorsque le roi, âgé de près de 77 ans dont cinquante-quatre de règne effectif depuis la mort de son mentor Mazarin, souffrant depuis de longues années de toutes sortes de maux dont le diabète, tombe gravement malade, chacun sait qu’il ne se relèvera pas. Alors qu’il est rongé par la gangrène, son médecin, Fagon, le soigne pour une sciatique, précipitant sa fin. Louis XIV le sait parfaitement, qui va subir une agonie de près d’un mois, jusqu’à ce 1er septembre, 8 h 15 du matin, où il rend le dernier soupir. Non sans avoir tout organisé, le rituel de la maladie, celui de la mort, puis la cérémonie des adieux. Deux mois de procédures, autopsie, embaumement, prélèvement des entrailles, jusqu’au 23 octobre, date des funérailles en l’abbaye royale de Saint-Denis.
"Le roi est mort, vive le roi !" dit la formule consacrée. Mais le roi, le petit Louis XV, a 5 ans en 1715. Il est l’arrière-petit-fils d’un homme qui a vu son fils, et même ses petits-enfants, mourir avant lui. Selon la règle en France, l’enfant royal doit, jusqu’à sa majorité, être pourvu d’un régent. Dans son testament, Louis XIV a attribué la présidence du Conseil de régence au duc du Maine, l’un de ses deux bâtards légitimés. Mais, grâce à l’appui du Parlement de Paris, dès le 2 septembre, c’est Philippe d’Orléans, neveu du feu roi, considéré comme un "progressiste", un intellectuel, et aussi un débauché, qui va emporter la Régence et le pouvoir à l’arraché, faisant casser le testament de Louis XIV. Serait-ce la fin de la monarchie absolue - même si Louis XV sera lui aussi un souverain majeur, régnant sans partage durant près de cinquante ans ? On peut le penser. Joël Cornette, spécialiste de la période, dont l’essai est à la fois brillant et fort bien écrit, très accessible, se garde cependant d’extrapoler. En particulier, selon lui, il serait exagéré de considérer la contestation posthume de Louis XIV, "Louis le Petit", le roi de l’arbitraire, de la guerre et des impôts, qui a laissé la France exsangue, comme une préfiguration de la Révolution. Quoique…
J.-C. P.