29 août & 4 septembre > Essais France

Viviane Forrester- Photo OLIVIER DION

Que répondre à la souffrance sociale et au constat d’un monde injuste ? En 1996, Viviane Forrester avait choisi la colère. Dans L’horreur économique (Fayard), elle faisait le procès de cette discipline apparue au XVIIIe siècle qui a fini par phagocyter toute la société. Elle avait envisagé de donner une suite à son best-seller en 2014. En guise d’entrée en matière, elle rédigea une vingtaine de feuillets, ne sachant pas si la maladie lui laisserait le temps d’écrire la suite. Elle suggéra donc à Olivier Bétourné, le patron du Seuil, de les utiliser pour une préface à la réédition de L’horreur économique. C’est ce texte qui est proposé sous le titre La promesse du pire.

Dans ces quelques pages posthumes aux allures de manifeste, Viviane Forrester pose un diagnostic froid. Des mots choisis pour dire son refus d’un monde qui bascule dans la seule recherche du gain des riches et l’augmentation des pauvres. « Nous voici à la charnière de deux âges, au point extrême d’une ère proche de basculer dans le néant. » Que s’est-il passé depuis que la marchandise n’est plus l’objet de l’échange mais que l’échange est devenu la marchandise ?

La réponse, nous la trouvons dans l’essai d’Olivier Pétré-Grenouilleau. L’historien, spécialiste des Traites négrières (Gallimard, 2004), explique comment le cynisme s’est emparé de ce capitalisme destiné à l’origine à favoriser les relations entre les hommes. Avant cela, les religions et les philosophes antiques s’étaient toujours méfiés de l’argent, envisagé comme diversion et perversion.

Cette plongée dans le passé et la longue durée met en évidence bien des aspects méconnus de la mondialisation et rompt avec les clichés d’un monde irrémédiablement pris dans la convulsion des Bourses. C’est moins la mondialisation que les mutations du capitalisme qui explique ces dérives d’un marché monétarisé où la liberté des Etats fut peu à peu grignotée par ces monstres financiers, transformant les esclaves d’hier en personnes jetables aujourd’hui. La marchandisation du monde a ainsi débouché sur de nouvelles servitudes plus ou moins volontaires.

Olivier Pétré-Grenouilleau explique que, même éthique, le capitalisme ne favorise que l’inégalité. Il ne croit donc pas au retour d’un capitalisme vertueux. Le cynisme s’est installé, durablement. La perte du sens moral si cher aux économistes classiques et la mathématisation toute-puissante du système ont entraîné une transition dont nous ne mesurons pas encore toutes les conséquences.

Olivier Pétré-Grenouilleau le répète, « l’indignation ne suffit pas ». Il faut aussi comprendre le cheminement pour agir. La souffrance n’est certes pas bonne conseillère, mais elle a un mérite. Tout mettre en œuvre pour la voir disparaître. Laurent Lemire

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