C'est un rendez-vous régulier, un rituel. Un grand-père, Arrigo, l'auteur narrateur, reçoit la visite de son petit-fils de 13 ans, Angelo, chaque mercredi pendant un an. Ils discutent. Du futur et du passé. De la vie et des morts. Entre eux se tient une absente : la mère de l'adolescent, Charlotte, la fille d'Arrigo, disparue, « envahie par une sale maladie » deux ans plus tôt.
C'est un grand-père comme un autre qui pose des questions de grand-père (comment le préadolescent envisage son avenir professionnel, quels sont ses centres d'intérêt...), mais pas tout à fait, pas seulement. Car c'est aussi un ancien chirurgien cardiaque venu à l'écriture, croisé dans le récit autobiographique L'aiguille (Denoël, 2010), inspiré de son expérience de médecin du cœur, et dans le roman Le sens de l'orientation (Bourgois, 2015), autoportrait masqué en praticien efficace mais amoureux déboussolé.
Angelo est un préadolescent comme les autres. Presque. Il veut faire du codage, « travailler dans l'algorithme ». Apprendre le langage informatique. Il manifeste une révérence joueuse vis-à-vis de ce grand-père cultivé qu'il appelle par son prénom et avec qui il parle librement. Il n'est pas plus impressionné que ça. Il retourne les questions - « Et toi, qu'est-ce que tu veux faire plus tard ? » -, les reformule, demande des précisions, relève les bizarreries, les incohérences des récits, fait un peu de provocation (légère). C'est un garçon de son époque, qui arrive après le collège en trottinette, engage la conversation assis tête en bas sur le fauteuil. Qui trouve que « La littérature c'est trop lent ». Et reproche parfois à son ascendant d'avoir « tendance à forcer les choses ».
Dans leurs échanges, on lit le respect complice et la curiosité réciproque. L'humour d'Angelo. La tendresse admirative de son grand-père. Il joue son rôle de courroie de transmission quand il déroule la généalogie : les ancêtres italiens, le parcours de son propre père né d'un père juif d'origine hongroise et d'une mère chrétienne de famille vénitienne, dans une fratrie de neuf enfants, et arrivé en France entre les deux guerres. Un homme dont la vie garde une grande part de mystère, qui a fini par choisir le français au détriment de sa langue maternelle.
Au fil des rendez-vous, chacun s'invite dans le monde de l'autre. Ils se cherchent des points communs, des ressemblances. « Tu veux être au cœur de la machine. Moi aussi. » « Je me suis promis de ne pas te donner de conseils », se souvient le grand-père écrivain. Et il le fait. Mais il a aussi un engagement à tenir. Un message de la mère à son fils à délivrer, des mots de sa fille à transmettre, confiés sur son lit d'hôpital et qu'il a notés pour ne pas les oublier. Alors il joue aussi ce passeur-là, avec pudeur et précaution.
Ce pourrait être un face-à-face plombé et douloureux, mais le ton, sérieux sans être solennel, jamais donneur de leçons, avec lequel ils convoquent ensemble les souvenirs pour les apprivoiser, sans cesser de se projeter, construit un pont léger entre l'avant et l'après. Ces Conversations du mercredi, comme une valise pour la route, sont dédiées « à Charlotte », « Avec Angelo ».
Nos conversations du mercredi
Christian Bourgois Éditeur
Tirage: 3 000 ex.
Prix: 12 euros ; 96 p.
ISBN: 9782267031096