"Le livre fait partie de ces rayons, avec la cosmétique par exemple, qui permettent au client de vivre une expérience positive lors des courses." PHILIPPE MOATI

Ancien directeur de recherche au Crédoc, économiste, Philippe Moati se penche depuis plusieurs années sur les bouleversements engendrés par Internet dans le secteur du commerce. Auteur d'une étude sur la prospective du commerce physique des biens culturels pour le ministère de la Culture, parue en janvier 2011 et dans laquelle il a puisé pour présenter aux libraires réunis à Lyon en mai dernier son analyse de l'avenir de la librairie indépendante face au numérique, il a publié le 15 septembre chez Odile Jacob La nouvelle révolution commerciale.

Le concept d'hypermarché, en souffrance depuis plusieurs années, parvient-il à se renouveler ?

Les enseignes y travaillent activement et développent de nouveaux concepts, telles que Carrefour et son hypermarché Planet. Mais globalement, ce modèle s'essouffle et ses performances se dégradent sur tous les secteurs. Sa fréquentation s'érode, les hypers perdant essentiellement une population à fort potentiel culturel et avec un bon pouvoir d'achat, qui lui préfère le commerce de proximité ou Internet, où des acteurs comme Amazon ou la Fnac proposent une gamme de produits de plus en plus étendue. A cette perte de trafic se conjugue, pour le livre, une concurrence accrue des grandes surfaces spécialisées, type Cultura ou Espace culturel, qui viennent parfois les affronter en face-à-face.

Dans ce contexte, quel enjeu représente le livre pour les GSA ?

Ramené au chiffre d'affaires total des GSA, le livre ne représente presque rien. Et pourtant, elles l'ont identifié, avec le jeu vidéo, comme un rayon stratégique. Sa première vertu est d'assurer la péréquation des marges. Dans leur course au prix bas, les hypers ont besoin de trouver ailleurs que dans l'alimentaire des leviers de rentabilité. Pour eux, le livre remplit ce contrat. Deuxième point fort, sa valeur symbolique. Fort vecteur d'image, le livre contribue à "réenchanter" l'hyper. Il fait partie de ces rayons, avec la cosmétique par exemple, qui permettent au client de vivre une expérience positive lors des courses. Maintenant, peuvent-ils aller plus loin que ce qu'ils font aujourd'hui et est-ce que ça suffira pour leur permettre de prendre des parts en cas de reflux du marché du livre ? Pas sûr... d'autant que les GSA n'ont pas d'attachement particulier aux produits culturels et que leurs performances globales dépendent de leur capacité d'allocation des mètres carrés aux différentes catégories de produits en fonction des dynamiques de croissance des marchés et des potentiels de rentabilité. Elles peuvent donc aussi être les premières à se désengager de la distribution de produits culturels.

L'avenir se trouve-t-il alors dans le commerce en ligne et le livre numérique ?

Pas sûr non plus. Si les hypers vont certainement contribuer à démocratiser les liseuses, par leur politique de prix bas notamment, leur potentiel de parts de marché dans le commerce en ligne reste très faible. Ils n'y ont pas les armes, ne savent pas créer de contenu éditorial, et leur légitimité sur les réseaux sociaux est nulle. En juin dernier, Carrefour a d'ailleurs décidé de confier la partie non alimentaire de son site à Pixmania. On peut y voir une manière de se débarrasser du problème, voire un aveu d'échec, mais cette formule représente aussi une sérieuse piste de réflexion pour les hypers, notamment pour le livre numérique, où ils sont confrontés à des acteurs extérieurs bien plus légitimes qu'eux sur le secteur.

29.05 2015

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