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Le marché du livre en 2011 : à la recherche du client perdu

Devant la Fnac Forum, Paris. - Photo OLIVIER DION

Le marché du livre en 2011 : à la recherche du client perdu

Alors que le panier moyen d'achat des consommateurs reste bas dans un contexte de crise et d'incertitudes, le recul de la fréquentation des points de vente constitue le principal frein à l'activité du marché du livre, qui se tasse en 2011 pour la deuxième année consécutive. Si seule la vente en ligne progresse, la librairie résiste mieux que la grande distribution.

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Par Fabrice Piault, Clarisse Normand
Créé le 17.02.2015 à 17h07 ,
Mis à jour le 06.03.2015 à 12h16

Déprimé au premier semestre, à peine convalescent pendant l'été, à nouveau déprimé à l'automne avant un bref sursaut pour les fêtes de fin d'année... Le bilan du marché du livre en 2011 ne restera pas dans les annales. A - 1 % en euros courants d'après nos données Livres Hebdo/ I+C (1), l'activité déjà en retrait en 2010 (- 0,5 %) enregistre en 2011 un tassement pour la deuxième année consécutive, et ce en dépit d'une augmentation modérée des prix (voir p. 16). Le rythme annuel de croissance des ventes de livres au détail, qui avait glissé dès juillet 2010 au-dessous de la moyenne de l'ensemble du commerce de détail, tous produits confondus, n'a jamais repris le dessus depuis. A la fin de 2011, où il n'est redevenu - légèrement - positif que brièvement pendant l'été, il se situe un point au-dessous.

RETOURS DE BÂTON

Le marché du livre a déjà traversé, en 2005 et 2006, un cycle biennal négatif (voir graphiques page suivante). L'an dernier, c'est son imprévisibilité et sa volatilité qui ont frappé (2). A 0 % en mai et en août, l'activité n'a progressé, très faiblement, qu'en janvier (+ 1,5 %), juin, juillet et décembre (+ 1 % à chaque fois). Et ces phases de rémission ont chaque fois été remises en cause par des retours de bâton souvent violents : - 3,5 % en février, - 2 % en mars comme en avril, puis - 3 % en septembre, - 3,5 % en octobre et - 4,5 % en novembre, trois mois d'activité traditionnellement forte en librairie.

A + 5,5 % comme l'année précédente, le circuit de la vente à distance (y compris les clubs via détaillants) confirme, grâce à l'essor persistant du commerce en ligne, son dynamisme face aux autres circuits de vente du livre. Ces derniers sont tous en retrait. Encore en positif en 2010 (+ 0,5 %), les grandes surfaces culturelles sont désormais dans le rouge (- 0,5 %) malgré la poursuite des ouvertures de magasins dans plusieurs enseignes. Les librairies de 1er niveau se maintiennent, mieux que l'année d'avant, dans la moyenne du marché, avec le même - 1 % qu'en 2010. Toujours en recul en 2011 (- 2,5 %), le 2e niveau améliore toutefois sa performance par rapport à l'année précédente (- 4,5 %). Dans le même temps, la dégradation des ventes de livres dans les hypermarchés s'accélère, de - 3,5 % en 2010 à - 5,5 % l'an dernier.

Dans un contexte de crise économique et d'incertitudes qui a fortement impacté les performances du marché du livre pendant l'automne, le panier moyen d'achat des clients est resté désespérément bas, à seulement 16 euros pendant les neuf premiers mois de l'année, et 18 au dernier trimestre, soit moins de 17 euros sur l'année, comme en 2010. Surtout, la fréquentation a continué de se dégrader fortement d'une année sur l'autre, particulièrement au premier semestre, mais encore jusqu'à la fin décembre. Au point que la question de l'attractivité des librairies, celle des moyens à déployer pour y attirer les consommateurs, s'impose comme le premier défi de 2012.

SEUL LE POCHE

Peu reluisants, les autres indicateurs de la santé des commerces de livres ont finalement peu évolué entre 2010 et 2011. Dépassant les 75 jours de vente, les stocks se sont très légèrement alourdis. Le taux moyen de retour se révèle stable au niveau déjà élevé de 26 %. Au total, la trésorerie des détaillants, souvent atteinte par la hausse des baux, a tout de même continué de se dégrader, mais moins au second semestre qu'au premier.

Tous les rayons sont en tout cas atteints par l'atonie de l'activité. Symptomatiquement, apparaissant grâce à son prix comme une valeur refuge, seul le poche affiche pour 2011 une évolution positive (+ 1 %). Elle est même un peu plus positive que l'année précédente. Autres locomotives traditionnelles du marché du livre, la jeunesse (0 %) et la bande dessinée (- 0,5 %) stagnent, tout comme les sciences humaines qui, à - 0,5 %, améliorent toutefois nettement leur performance par rapport à 2010. Tous les autres rayons, y compris le pratique (- 1,5 %) dont la valeur globale a baissé en raison de l'expansion des collections à petits prix, reculent plus que la moyenne du marché du livre : - 1,5 % pour le scolaire et le parascolaire, - 2,5 % pour la littérature (fiction) comme pour les essais et documents - 3 % pour le droit, - 3,5 % pour l'économie et la gestion, - 4 % pour les STM (sciences, techniques, médecine) et les dictionnaires, et - 6 % pour les beaux livres, lanterne rouge comme en 2010.

Ce climat peu porteur n'empêche pas la production, en léger retrait un an plus tôt (- 1 %), d'enregistrer en 2011 une petite progression de 2,1 % qui lui permet de franchir pour la première fois la barre des 64 000 nouveaux titres, précisément à 64 347 nouveautés et nouvelles éditions d'après nos données Livres Hebdo/Electre. Le nombre de nouveaux titres a été réduit dans de nombreux secteurs comme les sciences de l'information, la psychologie et la psychanalyse, la sociologie et l'anthropologie, la politique, l'économie, la peinture, la poésie ou le polar. Mais il a continué d'augmenter de plus de 10 % dans des domaines aussi importants que les religions, la médecine, l'artisanat d'art et les activités créatrices, la photographie, la musique, l'audiovisuel, la fiction comme le documentaire jeunesse, le théâtre, l'histoire et le régionalisme, et dans une moindre mesure l'enseignement (sauf en sciences), la cuisine (+ 5 %), la gestion (+ 5 %), la bande dessinée (+ 3,3 %), la littérature fantastique et de science-fiction (+ 5 %). L'édition n'oublie pas que le marché du livre est avant tout un marché d'offre.

(1) Enquêtes réalisées par l'institut I+C pour le compte de Livres Hebdo auprès d'un large échantillon représentatif des librairies générales de 1er niveau, des librairies de 2e niveau, des grandes surfaces culturelles, des hypermarchés, des librairies en ligne, des clubs, des soldeurs et des grands magasins. Les résultats sont établis selon la méthode des quotas pondérés.

(2) Voir aussi notre bilan des meilleures ventes de livres en 2011 dans LH 894, du 27.1.2012, p. 14-29.

Des lecteurs prudents qui demandent à s'évader

 

Les libraires font le portrait du lecteur en temps de crise : plus près de ses sous mais aussi désireux de lecture, si on sait la lui « vendre ».

 

Dominique Lepori, Gibert Joseph Lyon et Vaulx-en-Velin- Photo OLIVIER DION

Les gens ont une calculatrice dans la tête, observe Dominique Lepori, directrice des magasins Gibert Joseph à Lyon et à Vaulx-en-Velin, dernier-né de l'enseigne ouvert en 2009 en centre commercial. Comme elle, les libraires ressentent nettement dans leurs magasins l'impact de la baisse du pouvoir d'achat. « A Vaulx-en-Velin, poursuit-elle, nous sentons que leurs dépenses sont maîtrisées. D'ailleurs, aujourd'hui, nos clients n'hésitent plus à offrir des livres d'occasion. C'est tout à fait nouveau. Autre phénomène récent : ils paient de plus en plus avec des chèques-cadeaux... mais c'est sans doute lié à notre clientèle composée principalementde jeunes couples avec enfants. Pourtant, nos résultats sont plus que satisfaisants, et chaque semaine des gens nous remercient d'avoir apporté une offre culturelle dans une zone qui en était dépourvue.  »

"LES GENS REGARDENT LES PRIX. »

Olivier L'Hostis, L'Esperluète, Chartres- Photo OLIVIER DION

Pour Olivier L'Hostis, patron de L'Esperluète, située dans le centre de Chartres, "il n'y a pas de désaffection pour la lecture, en revanche les gens achètent des livres moins chers. En témoigne l'écart enregistré l'an passé entre l'évolution de nos ventes en volume (+ 4 %) et en valeur (+ 2,5 %). D'ailleurs, nous-mêmes, en proposant de plus en plus de coups de coeur en poche, nous contribuons peut-être au phénomène... ». Chez Formatlivre, à Libourne, Jean-Marie Martin constate lui aussi que ses clients sont plus attentifs aux prix : "Même si notre panier moyen n'a pas baissé, on voit de plus en plus de gens retourner les livres, non pas pour lire la quatrième de couverture, mais pour regarder les prix. On sent qu'ils comparent et qu'ils essayent de savoir s'ils en auront pour leur argent. Ils nous demandent aussi davantage si le livre qui les intéresse existe en format poche. »

Selon Jean-Marie Ozanne (Folies d'encre, à Montreuil), c'est aussi la faiblesse du pouvoir d'achat qui explique la baisse de fréquentation enregistrée par de nombreux libraires. "Les gens viennent moins dans les magasins pour ne pas être tentés de dépenser. D'ailleurs, chez nous, si le panier moyen a augmenté, le nombre de tickets de caisse a eu tendance à baisser. Mais ce phénomène n'est pas propre à la librairie. Il touche tous les commerces en cette période de crise. » Chez Labyrinthes, à Rambouillet, Jean Milbergue constate lui aussi une réduction du nombre de passages de ses clients fidèles : "En l'espace d'un an, on est passé de 6 à 8 visites par an en moyenne... Par contre, si les gens viennent un peu moins souvent, ils achètent un peu plus lors de leurs déplacements. Mais je ne suis pas forcément représentatif du marché car je touche un bassin de population important et aisé. D'ailleurs, à 37 euros, mon panier moyen d'achat est deux fois supérieur à celui de la moyenne nationale. »

"FAUT QUE ÇA BOUGE. »

Derrière tous ces témoignages, on le sent, l'appétit de lecture est toujours là. Mais, pour Dominique Lepori, "il faut de plus en plus se décarcasser pour attirer et déclencher des actes d'achat. La présence de vendeurs est essentielle. Mais l'aménagement de l'espace de vente et la présentation des livres sont aussi très importants. Aujourd'hui, il faut renouveler les tables de plus en plus souvent. C'est d'autant plus important que les gens ne regardent plus beaucoup les rayonnages. Ils n'ont plus le temps : ils veulent qu'on leur mâche le travail et qu'on sélectionne pour eux des livres. » Dans le même esprit, Jean-Marie Martin constate qu'il faut du rythme. "Sur les tables, dans les vitrines, faut que ça bouge ! L'impact est évident. Régulièrement, des gens viennent me demander des titres qu'ils ont vus en vitrine même si celles-ci ont été changées depuis. »

"Face à beaucoup d'autres commerces, la librairie ne s'en sort pas si mal, estime Olivier L'Hostis. Le problème, et c'est peut-être pourquoi certains discours sont alarmistes, c'est que la profession n'a aucune réserve pour amortir la moindre baisse de chiffre d'affaires. Là où certaines activités peuvent temporairement réduire leurs marges, la librairie doit tout de suite tailler dans le muscle. D'autant que ses charges, elles, augmentent. » Sur le fond, c'est bien le problème de la rentabilité de la librairie qui est à nouveau pointé.

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