Les éditeurs ont beau avoir programmé une concentration inédite de grosses sorties sur les derniers mois de l’année (1) - a posteriori, peut-être une erreur tant le marché s’est trouvé encombré -, cela n’aura pas suffi à sauver cette dernière. Les ventes de livres au détail s’affichent à - 1,1 % en valeur en 2017 en France, d’après nos données Livres Hebdo/I+C. Une rechute après l’embellie de 2015 (+ 1,8 %) et la stabilité de 2016 (0 %).
Traditionnelles, les perturbations du marché du livre en année électorale ont atteint cette fois, au premier semestre où les campagnes de la présidentielle et des législatives ont connu des rebondissements particulièrement spectaculaires, un niveau inédit. Mois après mois, les ventes n’ont cessé de reculer à un an d’intervalle, souvent dans des proportions très importantes : - 3,5 % en janvier comme en février, - 2 % en mars, - 9 % en avril, - 3 % en mai, - 4,5 % en juin. En six mois, de fin décembre à fin juin, la tendance annuelle de l’activité a reculé de deux points, de 0 % à - 2 %. L’embellie de juillet (+ 4,5 %) a donné le signal d’une inversion de tendance, mais la reprise est restée modeste avec + 1 % en août, + 1,5 % en septembre, un tassement de - 1,5 % en octobre, + 3 % en novembre et + 1 % en décembre.
Comme en 2016, seule la grande distribution spécialisée affiche une progression pour le livre grâce aux sites de vente en ligne et à la poursuite des ouvertures de nouvelles succursales (voir graphiques). Les grandes surfaces culturelles s’inscrivent à + 1,6 % sur l’année quand les librairies reculent, de 2 % pour le premier niveau et de 2,8 % pour le deuxième. Les hypermarchés, eux, à - 5,8 %, restent emportés par le processus de contraction de leurs ventes de livres à l’œuvre depuis plus d’une décennie. Au total, le marché du livre continue d’évoluer, comme il le fait depuis mars 2016, au-dessous de la moyenne de l’activité de l’ensemble du commerce de détail, tous produits confondus, avec désormais, à fin décembre 2017, un différentiel de 1,7 point, contre 0,9 un an plus tôt.
Romans, jeunesse, poche
Alors qu’Astérix et la Transitalique, paru fin octobre, a dominé comme on pouvait s’y attendre le palmarès des meilleures ventes de l’année (2), la bande dessinée se révèle le seul secteur en croissance en 2017 (+ 2 % à un an d’intervalle). A 0 %, les ventes de romans, d’ouvrages pour la jeunesse et de livres au format poche ont cependant bien tiré leur épingle du jeu complexe de cette année électorale. Tous les autres secteurs sont en recul, tels le scolaire (3), à - 1,5 %, les sciences humaines, les sciences-techniques-médecine (STM), le pratique et le parascolaire (- 2 %), les essais et documents, l’économie-gestion et le droit (- 2,5 %). Les beaux livres demeurent un secteur sinistré (- 4 %) tandis que les dictionnaires (- 4,5 %) ferment une nouvelle fois la marche.
Ces contre-performances s’accompagnent d’une nette dégradation des indicateurs de la "santé de la librairie", et plus largement des points de vente de livres. Certes, si la fréquentation des commerces de livres s’est littéralement effondrée au premier comme au deuxième trimestre, elle a fini par se stabiliser les deux trimestres suivants. De même, la trésorerie des magasins, gravement perturbée pendant l’hiver et dans une moindre mesure au printemps, a amorcé un timide redressement en fin d’année. On peut aussi se féliciter que le taux de retour moyen soit resté stable, au niveau toutefois significatif de 24 %. Mais les stocks ont continué de se contracter fortement, à 78 jours en moyenne contre 82 en 2016 et 83,5 en 2015. Surtout, le panier moyen d’achat des clients des points de vente de livres a reculé d’1 euro, à 18 euros seulement.
On ne pourra en tout cas reprocher aux éditeurs ni une augmentation des prix du livre - ils continuent d’évoluer au-dessous du niveau de l’indice général des prix, avec à fin décembre un différentiel de 1 point -, ni une hausse de la production (voir graphiques). Avec 68 735 nouveautés et nouvelles éditions, d’après notre estimation Livres Hebdo/electre.com (les données définitives seront établies la semaine prochaine), cette dernière a progressé de moins de 1 % et demeure dans l’étiage des années précédentes. Quelques secteurs affichent des hausses de production, généralement modérées, en 2017 tels ceux de la parapsychologie et de l’occultisme ou encore de la franc-maçonnerie, la sociologie et l’anthropologie, la politique du fait des élections, l’enseignement des langues et tout ce qui concerne les langues étrangères, la santé, la nature et le jardinage, l’architecture, l’audiovisuel, la BD (hors mangas), l’éveil pour la jeunesse, le roman français, la géographie et les voyages. Mais la plupart des autres secteurs affichent une stabilité ou une baisse du nombre de leurs titres. F. P.
(1) Voir LH 1137, du 18.8.2017, p. 32-35.
(2) Voir LH 1157, du 19.1.2018, p. 16-35.
(3) Seules sont ici prises en compte les ventes de manuels scolaires réalisées dans le commerce de détail, hors grossistes et ventes directes.
Une année plombée au premier semestre
La production évolue peu
Le prix des livres est resté stable
Etranger : des bilans contrastés
Alors que les marchés du livre ont résisté difficilement en 2017, les éditeurs s’inquiètent de la désaffection des lecteurs. Tour d’horizon nourri par les informations des magazines et sites professionnels du réseau PubMagNet.
Etats-Unis + 1,9 %
Sans aucun titre au-dessus du million d’exemplaires, les ventes de livres ont quand même augmenté de 1,9 % en 2017 selon Nielsen, qui couvre 80 à 85 % du marché américain. 687,2 millions de volumes ont été vendus en 2017 (+ 10,8 % sur cinq ans). En baisse, le marché des livres numériques devrait se stabiliser à 20 % du marché total. Wonder, adapté au cinéma, Milk and honey, un recueil de poésie, ont été les deux best-sellers de l’année avec le dernier volume du Journal d’un dégonflé (992 000 ventes). Les "mass market paperbacks" continuent de chuter (- 6,4 % en 2017 contre - 7,7 % en 2016). Tandis que croît l’autoédition, toujours difficile à mesurer.
D’après Publishers Weekly.
Royaume-Uni + 0,09 %
Avec 189,8 millions de volumes vendus pour un chiffre d’affaires de 1,60 milliard de livres sterling, le marché britannique affiche une légère hausse de 0,09 % en valeur, mais une chute de 2,7 % en volume. La fiction progresse (+ 1,7 %) grâce au polar, ainsi que les essais (+ 0,6 %). Le livre pour la jeunesse recule (- 0,03 %) mais réalise le deuxième plus gros score depuis 1998 (382 M£). Origine de Dan Brown et Darker de E. L. James se sont bien vendus, et David Walliams, J. K. Rowling et Julia Donaldson, qui écrivent pour les jeunes, sont les meilleurs vendeurs.
D’après The Bookseller.
Allemagne - 2 %
Le marché allemand du livre se contracte de 2 %, et de 3 % pour les librairies-papeteries, malgré un prix de vente en hausse (+ 1,7 % et + 2,2 %). La baisse n’est plus compensée par les ventes en ligne. Depuis la fermeture du Bertelsmann Buchclub et l’abandon de points de vente par la chaîne Weltbild, l’industrie du livre a perdu des acheteurs, tombés à 30,89 millions (6 millions perdus en cinq ans), en partie à cause des autres loisirs culturels.
D’après Buchreport.
Norvège - 2,7 %
Le marché norvégien est en recul de 2,7 %, y compris le livre de jeunesse (pour la première fois), la fiction et les essais (- 2,5 %) et le scolaire (- 7 %). En revanche, les cessions de droits à l’étranger ont battu des records avec Maja Lunde, Karl Ove Knausgaard, Per Petterson et Jo Nesbø, et les éditeurs norvégiens misent sur l’invitation à Francfort en 2019. La tendance est à la concentration. Les deux premiers groupes Cappelen Damm et Vigmostad & Bjørke ont acquis des petites maisons d’édition, et les deux premières chaînes de librairies se sont partagé les 50 plus gros points de vente de Notabene.
D’après Bok365.no.
Italie + 3,36 %
La hausse des ventes en ligne a marqué le marché italien en 2017, grâce au "Bonus culture", une carte d’une valeur de 500 euros donnée par le gouvernement.
600 000 jeunes ont dépensé 163 millions d’euros à 80 % en livres, dans les librairies en ligne (54 %) ou les magasins accrédités (46 %). A - 0,1 %, la chute du nombre de volumes vendus semble enrayée (- 3,46 % en 2016). Le chiffre d’affaires bondit à + 3,36 % (+ 0,11 % en 2016). Storie della buonanotte per bambine ribelli, Origine, et Les huit montagnes sont les trois meilleures ventes de l’année.
D’après Ie-online.it.
Espagne + 4 %
Le marché espagnol devrait enregistrer une hausse de 3 % à 4 % en 2017. Le marché numérique serait à 5 % ou à 11 %… selon les sources. Alors que 40 % des Espagnols n’ont pas lu un seul livre en 2017, nombre de lecteurs se dirigent vers l’autoédition, ou vers d’autres loisirs comme les vidéos ou les jeux. 50 % des ventes numériques se font en dehors de l’Espagne : au Mexique (20 %), aux Etats-Unis (19 %) et en Colombie (10 %). Le livre audio démarre avec Storytel, qui propose un abonnement mensuel à 9,99 euros, et Audible, qui arrive en 2018. 90 000 titres ont été publiés en 2017, dont 30 000 numériques produits par 700 éditeurs (+ 28 %) et autant de titres autoédités, représentant désormais une vente sur quatre.
D’après Dosdoce.com.
Chine + 14,55 %
Le marché chinois est estimé à 80,3 milliards de yuans en 2017 (10,26 Md€), en hausse de 14,55 % par rapport à 2016, porté par les ventes en ligne (+ 25,82 %) de cinq grands acteurs : JD.com, Dangdang, Wenxuan.com, Amazon China et Bookuu.com. Les livres pour la jeunesse représentent 24,6 % de ce marché, et le top 10 des best-sellers 51,7 %. Les services payants en ligne d’acquisition des connaissances ont connu une explosion à travers des plateformes Himalaya FM, Qingting FM, Zhihu, Dedao.
D’après Bookdao.biz.
Brésil + 3,12 %
Dans une économie sous contrôle, le marché du livre brésilien croît de 3,12 % selon BookScan, qui couvre 65 % du marché. 43,3 millions d’exemplaires ont été vendus en 2017 (+ 4,6 %) pour un CA de 1,7 milliard de réals (430 M€, + 6,2 %). Toutefois, les éditeurs ont subi les retards de paiement des grosses chaînes Saraiva et Cultura. Embryonnaire, le marché numérique ne représente que 1,9 % du CA total, 4,51 % pour les quatre maisons les plus importantes et 0 % pour 63 % des éditeurs brésiliens.
D’après Publishing News.
Japon - 3 %
Les ventes de livres au Japon sont en baisse de 3 % (à 715 milliards de yens, 5,58 Md€)), et le nombre de volumes vendus (59 millions) de 4,2 %. S’il y a eu des best-sellers en romans, essais, livres de référence, les "paperbacks" ne se vendent plus. Avec 73 057 titres, la production est en baisse (- 2,6 %) comme le nombre d’exemplaires (314 millions, - 2,4 %). Depuis trois ans, les mangas, désormais lus en version numérique, chutent (- 13 %).
D’après Bunkanews.
C. C.