Contec et Publishers Launch, les deux journées de conférences organisées simultanément en pré-ouverture de la foire de Francfort se sont focalisées sur les ventes sur Internet, de livres papiers mais surtout numériques, et sur l’accès au marché global que la dématérialisation des contenus facilite. C'est tout particulièrement vrais pour les éditeurs anglophones portés par l’extension de l’anglais comme langue mondiale, et par les trois géants américains de l’Internet que sont Amazon, Apple et Google.
La foire de Francfort a lancé cette année Contec, une journée de débats, tables rondes, présentations multiples au même endroit et sur le même plan que Tool of Change (TOC) le programme de conférences tout juste abandonné par l’éditeur américain O’Reilly. Le grand nombre de présentations qui caractérise ce programme a permis d’aborder comme d’habitude des sujets très techniques à côté des présentations plus générales de tendances de marché, dont celle de Ruediger Wishenbart sur le livre numérique (Global eBooks).
Européanisation des thèmes
La reprise en main par la Foire de Francfort s’est également traduite par une européanisation des thèmes et des intervenants, mais s’exprimant toujours en anglais qui s’est décidément imposé comme la langue commune du Vieux continent. La présentation des projets allemands et français de diffusion de livres numériques dans des réseaux interopérables était un des plus exemplaires à cet égard. Vincent Picolo (responsable du développement numérique chez La Martinière) a ainsi expliqué le projet MO3T qui réunit en France éditeurs et libraires avec la coopération de France Télécom pour bâtir une plateforme ouverte. Sur une architecture voisine, mais à un stade bien plus avancé, Hans Klaus Renkl, chargé du développement pour l’édition numérique chez Deutsche Telekom AG, a détaillé Tolino, qui réunit Bertelsmann, Thalia, Weltbild et Hugendubel avec l’opérateur national dans la vente de livres numériques. Les partenaires ont lancé leur liseuse en mars dernier et ont convaincu quatre des plus grands éditeurs (35% de la production) de les rejoindre.
La chaîne d’approvisionnement, physique ou numérique, et la gestion des métadonnées qui la commande a été au cœur de nombreuses présentations dans les deux programmes de conférence. Dans un univers dématérialisé, où la vente sur Internet en progression continue fait prendre conscience du service rendu par l’exposition des livres en librairies, les éditeurs cherchent à recréer cette visibilité (discoverability) de leurs contenus dans l’univers dématérialisé.
Accès globalisé
Vu depuis l’approche très américano-centrée de Publishers Launch, cet objectif sera dominé par la maîtrise du traitement des données de masse, sujet à la mode dans les médias depuis 18 mois. L’introduction en Bourse de Facebook, et prochainement de Twitter, dont la richesse potentielle vient de ces masses considérables de données que ces entreprises ramassent sur tous les sujets et tous leurs utilisateurs, est à l’origine de cette irruption des « bigs datas » dans d’innombrables secteurs, dont le livre.
Michael Cader, fondateur de la lettre Publishers Marketplace, et le gourou de l’édition Mike Shatzkin, co-organisateurs de cette conférence, avaient réuni ce qui se fait de mieux en la matière dans le livre, avec les fondateurs de Scribd, Wattpad et Goodreads. Les deux premiers sont des plateformes de publication de contenus écrits les plus variés, qui avaient à leurs débuts la forme de grands bazars flirtant avec le piratage, et le troisième est un réseau social spécialisé dans le livre racheté cette année par Amazon. Tous les trois ont vanté leurs dizaines de millions d’utilisateurs, dépassant maintenant largement les Etats-Unis, et ont invité les éditeurs du monde entier à travailler avec eux, leur promettant un accès globalisé au marché et un point de vue incomparable sur les tendances dominantes en raison des quantités considérables d’informations collectées sur les goûts, les avis, les comportements de leurs utilisateurs.
La lecture en déclin
Le grand ordonnateur en chef de cette globalisation et de cette bascule des ventes sur Internet est bien sûr Amazon, pour une fois présent dans les débats, et représenté par Russ Grandinetti, vice président chargé des contenus du Kindle, qui a projeté nombre de courbes de ventes aux pentes de croissances impressionnantes, mais sans échelle permettant d’identifier la réalité des volumes ou du chiffre d’affaires réalisés.
Pour le moment, ces développements à grande vitesse ne concernent encore que les pays anglophones, caractérisés par des politiques tarifaires agressives imposées par le cybermarchand (prix cassés, ventes massives), mais les autres bassins linguistiques seront bientôt concernés. Depuis Francfort, l’Allemagne a fait figure de cas exotique non anglophone à étudier, avec des ventes numériques qui semblent sur le point de décoller.
Mais dans cette débauche technologique, les études de Nielsen présentées par son président Jonathan Nowell ont soulevé des soupirs d’inquiétude : aux Etats-Unis, la lecture n’occupe plus que 10% du temps libre hebdomadaire en raison des multiples autres sources de distraction ou d’occupation disponibles en permanence sur les smartphones ou les tablettes, toujours à portée de main dans une poche ou dans un sac. Que des livres soient aussi lisibles dessus ne change apparemment rien à cette érosion, d’où la nécessité d’aller chercher des lecteurs sur d’autres marchés, paradoxalement avec l’aide ces appareils.
L’appel à la résistance lancé par Jurgen Boss, directeur de la foire, lors de la conférence de presse précédent l’ouverture a pris ainsi un sens particulier : "Ce sont des machines à fidéliser la clientèle, qui dominent non seulement le commerce en ligne, mais également les supports de lecture, et ont ainsi les clients sous leur contrôle", a-t-il déclaré selon l’Afp à propos d’Amazon, Apple et Google. Il a dit regarder "la France comme un exemple dans beaucoup de domaines", à propos du vote récent de la proposition de loi sur les frais de port dirigée contre Amazon.