Les ruines, c'est ce qui reste quand on a tout oublié. Celles de la RDA parlent encore aux Allemands. De la vie d'avant la chute du mur de Berlin, de la Stasi, de cette curieuse nostalgie rebaptisée « Ostalgie » à la Good Bye, Lenin !, le film de Wolfgang Becker. C'est pour retrouver cette RDA perdue qu'Emmanuel Droit a conçu son livre en neuf scènes de la vie quotidienne. Non pas à partir de Berlin, trop connu, mais de Zeitz, ville moyenne située à une quarantaine de kilomètres au sud-ouest de Leipzig, bourgade rongée aujourd'hui par le chômage, le racisme et l'extrême droite, désert industriel emporté par le libéralisme, vestige d'un communisme qui n'a résisté à rien.

On comprend mieux ce que fut ce pays « aux mille et une nuances de gris », ce gris maussade, ce gris des agents qui écoutaient tout le monde, ce gris des rues et des façades, ce gris faussement égalitaire, utopique et plombant qui voulait faire croire que l'on ne rêve bien qu'en noir en blanc. Il en explique l'échec et aussi pourquoi certains regrettent encore ce mensonge rassurant où l'État prenait tout en charge de la vie à la mort, passage en prison inclus.

Avant son effondrement, on voit un pays qui n'a fait que désirer le monde libéral en singeant celui du grand frère soviétique, un pays fermé sur lui-même en se croyant ouvert aux autres. Inévitablement, le Big Bang qui se produisit après plus de quarante ans s'est accompagné du Big Mac. En se ruant sur les produits américains jugés plus performants parce que produits dans un pays démocratique, les Allemands de l'Est ont ainsi contribué à la faillite de nombreuses entreprises régionales.

Avec justesse, Emmanuel Droit déroule l'histoire d'un triple échec, de la RDA, de la réunification et de l'adaptation à une économie mondialisée. En nous racontant ce pays fantôme, il nous renvoie à ceux qui continuent de hanter le nôtre. « L'effondrement de la RDA ne doit pas faire oublier que tant l'école que les organisations de jeunesse ont contribué à former des « personnalités socialistes » attachées à des valeurs comme la paix, la solidarité, la protection sociale. » Même si le songe avait fini par se transformer en cauchemar, une lueur d'espoir demeurait.