27 août > Essai France

Pierre Bergounioux est fier de ses racines paysannes et triste de la disparition de la paysannerie. C’est pour retenir quelque chose du monde, et pas seulement de ce monde-là, qu’il écrit. "Ecrire n’est pas, du moins à mes yeux, une fin en soi. Notre affaire, c’est de vivre." Mais l’écriture l’autorise à Exister par deux fois comme l’indique le titre de son nouveau livre. L’exil, la perte et l’ailleurs sont ses territoires. L’innocence n’est pas de mise, et la mélancolie, voire le pessimisme, toujours un peu présente chez l’auteur de L’orphelin (Gallimard, 1992, "L’imaginaire", 2009). Puisque l’écrit est un outil, l’écrivain doit être un artisan. C’est la certitude que l’on retient chez ce Corrézien agrégé de lettres modernes.

Pour son premier livre chez Fayard, Pierre Bergounioux se présente et se raconte. Une suite d’entretiens et quelques courts essais pour saisir un personnage discret qui publie habituellement chez Verdier et Fata Morgana et pour parler de ce qu’il connaît le mieux : la littérature.

Il faut l’écouter évoquer Proust, Kafka, Joyce et surtout Faulkner. Il explique que le roman comme épopée dégradée de la bourgeoisie n’est plus. Tout simplement parce que le capitalisme a gagné, constate cet homme de gauche déçu par la gauche.

On écrit parce qu’on se fait une certaine idée de la réalité. L’écrivain apparaît pour lui comme un sismographe du monde, un enregistreur de ses secousses. Pour cet ancien professeur de collège, il s’agit d’une discipline. Il se lève tôt pour tenir son Journal dont Verdier a publié les 2 000 pages pour la période 1980-2000 (Carnet de notes, 2006 et 2007). Quelquefois, il écrit durant cinq heures par jour, lentement, avec circonspection, sur des feuilles usagées. "L’estime dans laquelle je tiens ce que j’écris m’interdit de lui accorder une feuille vierge." Pourquoi tant d’indélicatesse envers soi-même de la part d’un auteur qui en use tant pour les autres ?

"Le poids du passé me tire à la renverse", confie-t-il. Il sait que la version écrite du monde, ce qu’il nomme son "double de papier", peut vite être froissée, rejetée, oubliée par la réalité. Il cite Beckett qui disait que la littérature nous porte "au seuil de notre propre histoire".

Comme Julien Gracq ou Pierre Michon, Pierre Bergounioux pourrait être considéré comme un auteur pour prof ou pour critique littéraire. Il n’en est rien. Il s’adresse d’abord à ceux qui lisent, à ceux que la passion du livre entraîne toujours plus loin, pour qui une journée sans lire est une journée perdue et pour tout dire impensable. Sa générosité mâtinée d’inquiétude en témoigne lorsque viennent les sujets qui fâchent comme le numérique, les écrans ou l’éducation. Dans cette France, pays de la littérature où les marquises sortent encore à cinq heures, Pierre Bergounioux est à son aise. Il est de son temps. Laurent Lemire

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