Le peuple agit rarement comme l'Etat le souhaiterait. Mais qu'est-ce que le peuple ? Une invention des sciences sociales, un concept élaboré par des intellectuels ? Thierry Galibert ouvre le dossier et souligne tout ce qui a été un peu vite lu, notamment avant et pendant la Révolution française. De ces Lumières très tamisées qui conduisirent aux alcôves du libertinage, espaces de liberté que l'on a confondus avec la liberté elle-même, ce professeur de littérature française à l'université d'Aix-Marseille fait une analyse très différente. Cette liberté-là n'est que l'envie de jouir d'une certaine élite.
Textes à l'appui, il martèle que la Révolution française n'a fait qu'institutionnaliser le mépris du peuple que l'Etat avait façonné depuis le Moyen Age. De Voltaire, qui passe un sale quart d'heure, à Sieyès, dont le fameux Qu'est-ce que le tiers état ? est montré comme un texte sur un peuple théorique qui n'existe pas, Thierry Galibert ne fait pas dans le tiède. Pour lui, le peuple n'est pas le tiers état, mais le tiers exclu !
Sa démarche, que d'aucuns trouveront trop marxisante - mais Marx n'est pas l'auteur le plus incongru quand on traite de la politique... -, voire anarchisante, a le mérite de secouer les idées reçues. Et surtout, Galibert expose des connaissances assez vastes. Sa machine intellectuelle est alimentée par les réflexions de grands théoriciens de l'Antiquité au XIXe siècle. Mais jamais son érudition n'est laborieuse. Jamais il ne laisse son lecteur en plan du côté de chez Diderot ou avec Madame de Staël.
En 2008, il avait cerné le thème de La bestialité (Sulliver) dans l'oeuvre d'Antonin Artaud avec ce même souci de la citation qui permet de cheminer dans une démonstration sans faille. Ce passage du littéraire au politique marque une étape. Il se retrouve désormais dans le champ de l'histoire et au coeur même d'un sujet on ne peut plus sensible : l'enfermement du peuple dans un concept destiné à l'instrumentaliser. Ce livre qui pose la question de la représentation nationale devrait faire débat au-delà des spécialistes de la Révolution...
