avant- portrait

Cela commence par L’interprétation des rêves de Freud, trouvé par hasard dans un bric-à-brac de Tunis. Pour Fethi Benslama c’est la révélation. Quarante ans plus tard, son regard vif garde encore la trace de cette découverte. "Je savais alors ce que je voulais faire. Sauf qu’il n’y avait pas de filière de ce genre en Tunisie dans les années 1970." A 19 ans, ce fils d’une famille lettrée débarque à Paris. "J’ai commencé des études de psychologie dans l’UFR que je dirige aujourd’hui."

Très vite, il s’intéresse au fait religieux. "Dès les années 1980, je me suis aperçu que quelque chose d’anormal se passait dans l’islam." Contrairement à ce qu’on annonçait, Dieu n’était pas mort. Il devenait même sérieusement envahissant pour ce musulman élevé dans la Tunisie laïque de Bourguiba. "Je suis entré dans les textes de l’islam, en profondeur." Il travaille avec le psychanalyste Pierre Fédida (1934-2002), l’un de ses maîtres, qui l’encourage à publier son premier livre, La nuit brisée (Ramsay, 1988). En 1989, au moment de sa sortie, éclate l’affaire Rushdie. "J’ai tout de suite vu la portée de cette condamnation à mort." Persuadé que c’est dans la crise occidentale que se situent les racines de la crise islamique, il écrit Une fiction troublante (éditions de l’Aube, 1994) pour expliquer pourquoi l’islam réagissait si violemment à la modernité. "L’islamisme porte l’idée d’un traumatisme, mais l’islam ne connaît pas la psychanalyse. J’ai donc décidé d’aborder l’islam à travers le regard du psychanalyste." Plusieurs livres se succèdent dans les années 2000, nourris de son enseignement et de son approche freudienne des textes fondateurs de l’islam.

Musulmans en danger

Mais Fethi Benslama n’est pas qu’un théoricien. Clinicien, il voit lors de ses consultations dans la cité des 4000, à La Courneuve, des jeunes se radicaliser dans le tourment de "n’être pas assez musulman". Dans Un furieux désir de sacrifice il explique cette notion de "surmusulman" qui surgit avec le terrorisme, Internet et la volonté de rendre le massacre visible. "Ceux qui se radicalisent n’ont pas de formation religieuse, explique-t-il. S’ils l’avaient, ils ne se laisseraient pas prendre. Ils sont jeunes et très fragiles mentalement. Ils sont à la recherche d’une aventure et ne veulent pas de l’islam institutionnel de leurs parents. L’offre jihadiste leur permet de convertir cette haine de la société. Dans le combat, ils deviennent des héros positifs pour les fanatiques."

Entre la radicalisation comme menace et la radicalisation comme symptôme, cet homme de deux cultures, qui a tant espéré dans le "printemps arabe", s’inquiète de voir comment, après les dictatures, l’islamisme a détruit le politique dans ces pays qui ne s’occupent ni de leurs peuples ni de leurs jeunesses et produisent des individus capables du pire. "Ce sont les musulmans et leur civilisation qui sont aussi en danger. Même si on détruit Daesh, le phénomène ne va pas s’arrêter car le problème, c’est le fondamentalisme religieux que l’on arme. Voilà pourquoi il est impératif de traiter et pas seulement de signaler ceux qui reviennent de Syrie."

Laurent Lemire



 

Fethi Benslama, Un furieux désir de sacrifice : le surmusulman, Seuil. Prix : 15 € ; 160 p. Sortie : 12 mai. ISBN : 978-2-02-131909-5

Les dernières
actualités