Jean ne sait rien. Il est mort. Mais sa soeur, Marie Depussé, se souvient quel vivant, quel mourant il fut dans ce récit au chagrin ravalé. "De nous il ne reste rien, je veux dire de nous deux, assis l'un à côté de l'autre. Il ne me reste que les mots. » Les voilà donc, ces mots, capables de les faire revivre ensemble, marchant dans les couloirs de l'hôpital où Jean, son cadet de deux ans, souffrant d'une tumeur au cerveau inopérable, a été admis un jour.
Livre de deuil, si on veut, livre de vie aussi, La nuit tombe quand elle veut, comme Les morts ne savent rien (P.O.L, 2006), est le récit d'un accompagnement. L'écrivaine y soigne encore ce frère, ce "roi sans divertissement", >ce "garçon qui avait fait la guerre avec des révolutionnaires de toutes sortes », écrit un livre sur Coluche, pariait sur les chevaux de course... Et on est ému de les regarder s'aimer, "la fonctionnaire et le bandit », ces deux aînés au sein d'une fratrie très liée de quatre enfants.
Au coeur du livre, il y a un épisode frappant - quelques jours très violents dans un service d'urgence, les Portes -, point de bascule et de fixation de cette chronique funèbre, autour duquel s'agrègent les souvenirs. Les allers-retours qu'a faits Jean entre l'hôpital et sa seule maison, la "cabane », blottie dans le parc de la clinique de La Borde, en Sologne, fondée par le psychiatre Jean Oury, avec qui Marie Depussé avait signé A quelle heure passe le train... (Calmann-Lévy, 2003).
Bien sûr, il y a "la grande machine de l'hôpital », en l'occurrence Mondor-Créteil, sa misère propre et habillée de blanc, le fardeau de l'attente qui semble résumer la vie des malades autant que celle de leurs visiteurs (et qui évoque à Marie Depussé les écrits de Marek Edelman, l'un des chefs d'insurrection du ghetto de Varsovie). Mais ce que retient l'écrivaine, c'est aussi les trouées de tendresse : leur "promenade privée » dans un couloir, un café qu'on trouve bon, ces "instants minuscules [...] qui traversent le brouillard de la vie »...
Marie Depussé se tient dans ce livre comme elle se tenait dans sa chambre quand elle venait rendre visite à cette âme frère : "Il suffit de rester au pied du mur de sa souffrance, de sa peur. Et de tenir. A la distance, difficile à trouver, qui respecte son énigme de vivant. Etre tout près de ce qu'il y a de plus lointain. »