Le 18 mars 1978, comme chaque matin, François Duprat, professeur en histoire et géographie, se fait conduire par sa femme dans un collège de Normandie où il enseigne. A 8 h 40, près de la commune de Caudebec-en-Caux, sur la route départementale 982, un peu plus de quatre kilomètres après avoir quitté son domicile, une bombe d'un kilo placée sous le siège du passager où a pris place Duprat explose, pulvérisant la Citroën GS du couple.
Ainsi disparut, dans des circonstances qui demeurent à ce jour inexpliquées, l'homme qui, pour la génération 68, réinventa l'extrême droite. Le Front national dont il était alors l'officiel numéro deux tenait son martyr (oubliant qu'il l'avait exclu quelques années auparavant...), et les partisans de tout poil des théories du complot n'ont plus jamais cessé de se déchaîner, voyant dans l'assassinat, tour à tour, la main du Mossad, de la CIA, de Pierre Goldman, d'anciens compagnons d'armes, de polices parallèles giscardiennes et autres fadaises.
C'est moins la mort toutefois que la vie de François Duprat, ce qu'elle révèle de l'extrême droite française de l'OAS jusqu'à aujourd'hui, qui intéresse Nicolas Lebourg et Joseph Beauregard, auteurs de ce François Duprat : l'homme qui inventa le Front national, passionnante enquête biographique. Ils ont l'intelligence de ne jamais céder au point de vue moral, même aux prises avec les remugles infects dans lesquels s'ébattait presque joyeusement leur sujet. Car si Duprat était une canaille, et de la pire espèce, négationniste, néofasciste, théoricien de la violence politique, il l'était non sans talent. Cet intellectuel dévoyé, fils d'une bonne famille bayonnaise, n'eut jamais d'autre fidélité que celle de ses infidélités constantes. Agent traitant des RG, sans doute de la DST, peut-être de la CIA, il est d'abord un enfant de son époque et de ses clairs-obscurs. Le réel pour lui n'est qu'une affaire de lignes de tensions idéologiques. Et le fait qu'il ait structuré le "disque dur" du FN, de l'immigration combattue au nom de l'action sociale jusqu'à la préférence nationale en passant par la fusion des thèses conspirationnistes et antisémites ou l'antisionisme, aide à mieux le comprendre, et partant, à le combattre. Aussi, à l'heure où les habits neufs de l'extrême droite prétendent faire à nouveau illusion, la lecture de ce "roman noir" se révèle-t-elle absolument salutaire.