Si l'on en croit Marc Fumaroli, l'idée de ce livre lui est venue, à lui et à ses amis les d'Ormesson, de façon ludique, en sillonnant les sentiers du Tamil Nadu. Il n'est rien de mieux que de se rendre à l'étranger pour apprécier toute l'importance de sa langue, valeur si structurante, et dont l'excellente possession seule permet d'aller vers l'autre, de pratiquer une autre langue, en toute liberté. Et non point ce globish, cet "Assimil supranational" que l'on voudrait nous imposer, et qui "rétrécit les esprits", explique l'académicien français, professeur honoraire au Collège de France, où il s'est consacré, entre autres, à la réhabilitation de la rhétorique.
Or, le meilleur antidote à ce charabia mortifère éside dans les expressions et locutions imagées propres à chaque langue dont elles constituent un peu le sel, la touche inimitable. On peut les appeler métaphores, ce qu'elles sont, ou encore "lieux communs". Même si elles ont été inventées (ou mises en forme) par un écrivain - Rabelais ou La Fontaine, par exemple, furent de grands pourvoyeurs -, elles font partie de notre imaginaire collectif, de notre patrimoine commun et partagé. Claude Duneton, déjà, dans son fameux La puce à l'oreille (Stock, 1979), avait été le premier à classer le vaste univers des métaphores de façon thématique et non plus alphabétique, se rapprochant un peu plus du traité, de l'essai que du dictionnaire.
C'est ce même principe qu'a adopté Marc Fumaroli, en essayant d'être plus vaste, plus exhaustif, plus cohérent. Les métaphores sont ainsi présentées dans le domaine auquel elles appartiennent, une quarantaine recensés, de "L'univers ancien" jusqu'à l'astronautique, en passant par des champs sémantiques traditionnels, ceux qui ont le plus stimulé la créativité des hommes : le corps, les animaux, la campagne, la cuisine... Chaque expression est datée, quand c'est possible, expliquée, et illustrée par un exemple d'emploi pas forcément attendu : un article de Libération, une chanson de Gainsbourg, une citation de Tintin... Le poinçonneur des Lilas, qui exprimait ainsi son malaise existentiel : "J'en ai marre j'en ai ma claque/De ce cloaque/Je voudrais jouer la fille de l'air...", savait-il que sa métaphore provenait du titre d'un drame à succès de l'Espagnol Pedro Calderon de la Barca, créé en 1642 ?
L'un des chapitres les plus intéressants est celui traitant de "La littérature". On y apprend par exemple que c'est André Malraux qui a ressuscité, en 1928, le vieil adjectif "farfelu", en lui donnant le sens métaphorique de "bizarre, fantaisiste". Alors que chez Rabelais, dans le Tiers Livre, quand il est question d'un "couillon farfelu", cela désigne un "cocu dodu" !
Dégustant les articles de ce qui deviendra le Fumaroli, le lecteur en quête de "la poésie concrète, savoureuse et succulente du court-circuit imagé", seul moyen de rendre "habitable", dit-il, notre monde "abstrait, conceptuel, affairé, spécialisé, technologique et contre-nature", "s'en paye une tranche" et n'en a jamais "ras le bol".