14 SEPTEMBRE - HISTOIRE Allemagne

Ses grands livres furent écrits à la fin des années 1920 et au début des années 1930, brûlés sous le nazisme, oubliés après la guerre puis redécouverts bien plus tard à la faveur de ceux de Walter Benjamin. Siegfried Kracauer (1889-1966) fait partie de ces auteurs que les initiés gardent pour eux. Des avant-gardes qui ouvrent vraiment des chemins, des esprits curieux, des universitaires inclassables.

Journaliste, romancier, sociologue, historien, Siegfried Kracauer passa d'un genre à l'autre avec la volonté d'exprimer son époque sous toutes ses facettes. Connu des cinéphiles par De Caligari à Hitler (L'Age d'homme, 2009), un essai sur l'émergence du nazisme vue à travers le cinéma expressionniste allemand, ce brillant intellectuel juif fut l'une des figures majeures de la République de Weimar.

Comme tous les auteurs devenus cultes, ils ont des adeptes. C'est là qu'il faut se méfier. Le moindre papier griffonné peut vite faire office de traité. Ce n'est pas le cas avec Les employés. Ce fut même un livre attendu qui n'eut pas l'audience espérée lors de sa première parution aux éditions Avinus en 2000, puis à celles de la Maison des sciences de l'homme en 2004.

Pour cette nouvelle édition, la traduction et la présentation ont été revues. A la recension qu'en avait faite Walter Benjamin, il a été ajouté le compte rendu d'Ernst Bloch, autre bel esprit de cette époque, ainsi que des extraits de la correspondance entre Adorno et Kracauer.

Dans Les employés, on voit se déployer l'originalité et la subtilité de Kracauer. Cette manière de faire de la sociologie comme de la poésie. En procédant par petites touches, en dévoilant la société sous les angles les plus inattendus. Pendant dix semaines, statistiques et premières études sur le sujet en main, Kracauer s'immerge dans ce Berlin des employés et des employeurs.

A la lumière du marxisme, il feuillette ce monde gris comme un album de photographies. Pour nous, elles ont jauni. Mais elles conservent une atmosphère et nous disent quelque chose sur la condition humaine, la monotonie, la souffrance et le désespoir. On y verrait bien passer Kafka, le génie qui se cachait sous la banalité de l'employé modèle.

"Les employés qui peuplent aujourd'hui Berlin et les autres grandes villes constituent des masses dont le mode de vie est de plus en plus uniforme." Des masses qui sont à la veille de subir l'onde de choc d'une crise économique qui entraînera l'Allemagne dans le chaos, et Kracauer en exil, d'abord à Paris, puis à New York.

La belle collection "Le goût des idées" de Jean-Claude Zyeberstein a ceci de formidable qu'elle donne aux grands textes une seconde chance. Car en matière éditoriale, les redécouvertes ne sont pas moins essentielles que les découvertes.

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