Histoire/Royame-Uni 22 août Julian Jackson

Une biographie, c'est d'abord un ton. Ce De Gaulle est donc une vraie réussite. D'abord parce qu'il est écrit par un grand historien. Ensuite, celui-ci est britannique, et il n'y a rien de mieux qu'un Anglais, Churchill en est l'exemple, pour saisir les travers d'un Français. Et cela d'autant plus que sous ses airs de rigidité absolue le général était un brin excentrique. Dans son verbe, son vêtement, sa raideur même, il fut un personnage à nul autre pareil : « un soldat qui passa le plus clair de sa carrière à critiquer l'armée ; un conservateur qui s'exprimait souvent comme un révolutionnaire ; un homme de passion incapable, ou presque, d'exprimer ses émotions ». Julian Jackson nous le dévoile aussi très cyclothymique, passant de l'exaltation à l'accablement, songeant même au suicide après le « fiasco de Dakar ».

A ce monument national, il fallait bien une biographie monumentale après celles de Jean Lacouture, Paul-Marie de La Gorce ou Eric Roussel. En comparant les textes, en ne prenant jamais pour argent comptant ce qui est dit ou écrit, Julian Jackson montre comment de Gaulle a forgé sa légende. Il révèle les petits arrangements avec la chronologie et les discours. Il revient sur sa vie solitaire à Londres pendant la guerre - Yvonne est à la campagne, hors de portée des bombardements -, avec les dîners diplomatiques, les visites d'expositions ou les conférences à la librairie Foyles, la véritable admiration pour Malraux, avec qui il tutoyait les sommets dans des conversations où il ne parvenait pas à en placer une, son retour au pouvoir en 1958 selon les principes du coup d'Etat - « Je veux le 18 Brumaire sans les méthodes de Brumaire » -, l'instauration de la « Françafrique » avec Foccart pour contrer le Foreign Office, la fuite à Baden-Baden en mai 1968 ou la nécessité, après son départ, de peaufiner la geste gaulliste.

Reste l'explication du sous-titre qui renvoie à un passage célèbre de ses Mémoires. Quelle est donc cette « certaine idée de la France » ? L'historien britannique aurait pu utiliser l'ironie. Il a préféré une forme d'empathie à l'égard de ce personnage dont il montre par ailleurs les failles et les erreurs de jugement. Car s'il se voyait prophète, il ne cessa de s'adapter aux circonstances. S'il est un mot qui résume bien de Gaulle, c'est bien le sentiment de la patrie. Il y a une sorte de mysticisme du territoire et de son histoire qui s'allie à la réalité du moment. Lorsqu'il se prend pour la France, il n'est pas dans la vanité ultime. Ce grand lecteur de Barrès le ressent comme une mission suprême. Le terme de « grandeur » accolé à la France relève de ce même état d'esprit où sont convoqués Notre-Dame, Jeanne d'Arc et Victor Hugo.

Avec ce pavé de près de 1 000 pages, Julian Jackson prend un peu d'avance sur la vague commémorative qui va s'abattre en librairie en 2020 avec les 50 ans de la mort du général, les 130 ans de sa naissance et les 80 ans de l'appel du 18 juin. En tout cas, une chose est sûre, c'est désormais lui qui peut dire à ce géant politique. « Je vous ai compris. »

Julian Jackson
De Gaulle : une certaine idée de la France - Traduit de l’anglais par Marie-Anne de Béru
Seuil
Tirage: 20 000 ex.
Prix: 27,90 euros ; 976p.
ISBN: 9782021396317

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