Paypal, la célèbre société américaine de paiement en ligne, filiale d’eBay, a récemment provoqué une levée de boucliers en voulant interdire la vente d’ebooks érotiques via son canal. Outre que des pans entiers de littérature (de Sade à Nabokov en passant par Apollinaire) étaient visés, Paypal s’arrogeait un rôle de censeur public pour le moins surprenant, compte tenu de sa position d’intermédiaire de paiement. Devant la levée de boucliers, la société a — légèrement — fait machine arrière. Arguant que Paypal était un « fort et permanent soutien à la liberté d’expression, à l’ouverture d’Internet, à la publication indépendante et aux vendeurs d’e-books », Anuj Nayar, le directeur de la communication de l’entreprise, a spécifié que l’interdiction ne s’étendrait plus qu’aux livres illustrés, dont les contenus « parleraient de pédopornographie, de viol, d’inceste ou de bestialité ». Il n’empêche pas moins que Paypal continue de s’autoriser un droit de regard sur la littérature érotique vendue par Internet qui excède de beaucoup la mission initiale de l’entreprise. Et précisons que cette « politique » commerciale, habillée d’un juridisme confus, s’applique évidemment aux éditeurs et libraires français (il existe d’ailleurs une filiale française de Paypal). Rappelons que l’ancien délit d’outrage aux bonnes mœurs est aujourd’hui remplacé par l'article 227-24 du Code pénal, qui dispose : « Le fait de fabriquer, de transporter, de diffuser par quelque moyen que ce soit et quel qu’en soit le support, un message à caractère violent ou pornographique, ou de nature à porter gravement atteinte à la dignité humaine, soit de faire le commerce d’un tel message, est puni de trois ans d’emprisonnement (…), lorsque ce message est susceptible d’être vu ou perçu par un mineur ». Or, il n’est pas vraiment certain que les mineurs possèdent tous un accès à un compte paypal, qui nécessite une carte bancaire... De plus, la rédaction plus qu'imprécise de ce texte de loi, qui représente une porte ouverte aux censeurs, a été fortement dénoncée par les observateurs attentifs, dès son vote par le Parlement, intervenu en 1993. L'interprétation que peuvent faire les juridictions d'un texte aussi flou et répressif est très large. Les groupes de pression — qui se font fort de défendre la famille ou la religion — l'ont bien compris et ils hésitent de moins en moins à demander aux autorités d'agir, voire à intenter eux-mêmes les procès. De-là à les devancer en bons capitalistes puritains, il y avait quand même une marge… Par ailleurs, depuis 1994, le Code pénal comporte un article entièrement nouveau et redoutable, destiné à lutter contre le trafic d’images à caractère pédophile, mais utilisé désormais par les ligues de vertu en guerre contre les arts et lettres. L’article 227-23 dispose que « Le fait, en vue de sa diffusion, de fixer, d’enregistrer ou de transmettre l’image d’un mineur lorsque cette image présente un caractère pornographique est puni de cinq ans d’emprisonnement et de soixante-quinze mille euros d’amende. Le fait de diffuser une telle image, par quelque moyen que ce soit, de l’importer ou de l’exporter, de la faire importer ou de la faire exporter, est puni des mêmes peines. (…) Les dispositions du présent article sont également applicables aux images pornographiques d’une personne dont l’aspect physique est celui d’un mineur, sauf s’il est établi que cette personne était âgée de dix-huit ans au jour de la fixation ou de l’enregistrement de son image. » Enfin, il reste loisible de poursuivre les professionnels du livre sur le fondement de l’article 227-22 du même code. Ce texte sanctionne la corruption de mineurs, autrefois appelée « provocation à l’excitation de mineurs à la débauche ». L’Association des éditeurs américains, tout comme Reporters sans frontières, ont publié une lettre ouverte pour dénoncer cette décision et en appellent à la « neutralité » des services financiers en ligne, dénonçant que des sociétés privées puissent « utiliser leur influence économique pour dicter ce que les gens doivent livre, écrire et penser ». Las, pour ce qui est de penser, Paypal semble déjà avoir abdiqué.