"L'hippopotame n'a pas d'avenir. Mais il a un long passé. Cela prouve qu'il a eu un bel avenir autrefois." On connaît assez peu Henri Roorda (1870-1925) en France. Tant mieux ! Sa découverte n'en sera que plus exaltante. Récemment, Mille et une nuits avait commencé un programme de réédition : Le rire et les rieurs suivi de Mon suicide et Le roseau pensotant en 2011 ; Le pédagogue n'aime pas les enfants en 2012. Ce fort volume de chroniques établi par Gilles Losseroy enfonce le clou et nous dévoile un Vialatte suisse, un humoriste de très haute altitude.
Deux cents textes pour un vrai festival de calembours, de drôlerie, de malice et d'anarchie de la part d'un professeur de mathématiques qui a le savoir non seulement gai, mais franchement loufoque. Dans La Gazette de Lausanne, de 1917 à 1925, il s'en est donné à coeur joie pour des lecteurs ravis ou interdits. "En anglais, les mots n'ont qu'une syllabe. C'est très commode pour parler lorsqu'on a la pipe à la bouche."
Ces Saisons indisciplinées sont des petits trésors d'imagination verbale, des bouffées d'air libertaire qui regorgent de formules audacieuses : "Les hommes sont plus laids le dimanche que les autres jours" ; "La Terre est ronde. Il suffit de passer la main dessus pour s'en apercevoir" ou "Le fait est que l'Humanité est de très humble extraction. Elle descend de la famille animale. C'est une parvenue".
Elevé sur les genoux d'Elisée Reclus, Roorda a connu la Grande Guerre et pas mal d'autres grandes âneries. "Les mots : Patrie, Ordre, Etat, Religion, Civilisation ont été déshonorés mille fois par des fous, des hypocrites et des assassins." Ce sage dépressif qui considère que les poissons n'éternuent jamais demeure burlesque quoi qu'il traite en inventant le congrès du "C.Q.T.L.D.P.L.Q. (Ceux Qui Tirent Le Diable Par La Queue)" ou des proverbes scandinaves : "Il ne faut pas peler l'oignon jusqu'au bout".
Vialatte suisse certainement, avec du Dac et du Devos dedans. Sa chronique sur les pieds est un vrai sketch, mais derrière la fantaisie le philosophe n'est jamais loin. "Sachons goûter le bonheur de partir, même quand nous sommes sûrs de ne jamais arriver." C'est ce qu'a fait celui qui se définissait comme un "pessimiste joyeux". A cinquante-cinq ans, il se tire une balle dans le coeur.
