A la rentrée 2018, Adrien Bosc publiait Capitaine. C'était l'histoire, assez fascinante, d'une traversée. Celle que fit au printemps 1941, entre Marseille et la Martinique, un bateau, le Capitaine-Paul-Lemerle. A son bord, fuyant le régime de Vichy et les rigueurs des temps, une cargaison de réfugiés, d'artistes et d'intellectuels, parmi lesquels Breton ou Lévi-Strauss, Wifredo Lam ou Victor Serge.

Nul doute que la lecture de Capitaine fut pour Olivier Assayas d'un très grand profit. Il y avait en effet aussi sur ce bateau deux personnes dont l'Histoire a peut-être moins retenu le nom : le cinéaste et scénariste Jacques Rémy et la photographe Germaine Krull. Le premier était son père, la seconde, une amie proche de la famille. Justement, après la mort de Rémy, Assayas avait entrepris de mettre un peu d'ordre dans les archives paternelles. Il avait ainsi pu reconstituer le voyage des deux amis qui après la Martinique, s'était poursuivi jusqu'à Rio avec escales en Guyane ; à Saint-Laurent-du-Maroni d'abord, puis à Cayenne. Il avait surtout mis la main sur un lot exceptionnel de clichés de la photographe allemande « documentant » en quelque sorte leur voyage, ainsi que des textes inédits de Jacques Rémy comme de Germaine Krull.

Ce sont ces photos et ces textes qu'Adrien Bosc et Olivier Assayas ont décidé de réunir (en les accompagnant de leur propre contribution) pour ce Un voyage : Marseille-Rio 1941. Cela n'aurait pu être qu'un addendum à Capitaine, c'est en réalité bien plus que cela. D'abord parce que la force des images de Germaine Krull (qui seront exposées aux prochaines Rencontres de la photographie d'Arles en juillet et dont ce livre est en quelque sorte le catalogue) est inouïe, comme surgie de l'exil et d'une errance, tout en témoignant de la beauté des peuples et des hommes. Les textes de Jacques Rémy sont de la même eau profondément humaniste et joliment indolente. Ensuite, parce qu'il faut absolument lire le récit, presque « modianesque », qu'y fait Olivier Assayas, non seulement de ses recherches mais également de sa vie d'enfant entouré d'ombres, auprès d'un père en clair-obscur et d'étranges visiteurs dans leur maison de la vallée de Chevreuse. Le tout donne un objet d'une belle impureté, où l'Histoire se conjugue parfaitement avec les souvenirs tout comme l'oubli.