12 JANVIER - ESSAI France

Dans une conversation, surtout au retour des vacances, il y a toujours un moment où quelqu'un lance un "ah oui, j'connais !". Vous pouvez alors être sûr que la personne n'a jamais mis les pieds dans cet endroit. Mais comment va-t-elle s'y prendre si on la questionne un peu sur ce qu'elle a vu ? C'est là qu'intervient Pierre Bayard.

Pierre Bayard- Photo HÉLÈNE BAMBERGER/MINUIT

Grâce à sa méthode, qui est une sorte d'anti-Guide du routard, vous allez savoir Comment parler des lieux où l'on n'a pas été ? après avoir su Comment parler des livres que l'on n'a pas lus ? (Minuit, 2007). Pour cela, il vous faut plusieurs choses : disposer d'une bonne imagination, comme Marco Polo qui n'a sans doute jamais dépassé Constantinople, avoir de solides lectures, comme Chateaubriand qui a visité avec un luxe de détails des pays où il ne s'est jamais rendu, ou s'adjoindre les services d'un témoin qui fera le voyage à votre place, comme ce fut le cas pour Edouard Glissant qui envoya son épouse sur l'île de Pâques.

On l'aura compris, l'essai de Pierre Bayard nous parle avant tout de littérature. Derrière le livre se cache un autre livre dont le thème est plus sérieux. Imaginez une étude intitulée La littérature et le réel. Personne ne serait tenté. Alors que Comment parler des lieux où l'on n'a pas été ? donne envie d'en savoir plus. Même s'il n'est pas question de nous, mais des écrivains.

Défilent ainsi le Phileas Fogg de Jules Verne, les îles Samoa de Margaret Mead, qui firent beaucoup plus pour la libéralisation des moeurs aux Etats-Unis que pour la compréhension de la sexualité des jeunes Samoans, les articles de Jayson Blair, qui inventait les lieux de ses reportages en restant à Brooklyn, Emmanuel Carrère, qui décrit la vie de Jean-Claude Romand dans L'adversaire, George Psalmanazar, qui rêve l'île de Formose au début du XVIIIe siècle, ou le romancier allemand Karl May et son Far West imaginaire.

Dans cet espace littéraire, tout est permis, y compris de saisir la vérité. "Rien ne dit, en réalité, que voyager soit le meilleur moyen de découvrir une ville ou un pays que l'on ne connaît pas." Pierre Bayard sait de quoi il parle. Il est psychanalyste et professeur de littérature française à l'université de Paris-8 où il travaille sur les écritures de la violence extrême.

Avec ce style teinté d'humour et d'ironie, cette façon d'aborder l'académique par le ludique, Pierre Bayard nous ouvre les portes sur une autre géographie, ce "pays intérieur" dont parlait Freud. "Qu'est-ce que ça peut te faire, puisque je vous l'ai fait prendre à tous !" répondait Cendrars à Lazareff, qui lui demandait s'il avait vraiment pris le Transsibérien. Sans peur et sans reproche, notre chevalier Bayard vient secouer les études littéraires en donnant une irrésistible envie de suivre Marco Polo, Jules Verne, Chateaubriand, Cendrars, Glissant ou Nina Berberova. Lui-même, qui se qualifie de "voyageur casanier", avoue - mais est-ce vrai ? - avoir séjourné sur l'île de Pâques, participé au marathon de Boston et pris le Transsibérien. Son livre qui annonce que "le meilleur moyen de parler d'un lieu est de rester chez soi" ne fera pas les beaux jours des agences de voyages. Mais, après tout, en temps de crise, le voyageur sans voyage a de l'avenir...

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