Dans la vie, il y a les winners et les autres. Barry Cohen fait clairement partie de la première catégorie. Pas question pour lui de ne pas incarner le succès : l'argent, l'amour et la famille. Une vraie réussite pour ce quadra qui croit que le monde lui appartient. Il n'en est rien. Ce New-yorkais plonge dans une chute vertigineuse, à l'image de son pays, en plein bras-de-fer d'une campagne électorale Trump/Clinton qui monopolise les conversations et les préoccupations. Celles de Barry prennent une teinte dramatique, lorsque la Commission boursière se penche sur les actions du milliardaire. Une autre gifle arrive sans prévenir : son fils Shiva est diagnostiqué autiste. Ça en est trop pour lui. Malgré son amour pour sa femme Seema, il se sent dépassé. Impossible d'assumer sa paternité et ce bourbier financier. Tel un adolescent, envahi par la culpabilité, il prend la poudre d'escampette. L'un des personnages affirme que « tout le monde peut repartir à zéro. C'est ça l'Amérique. Quand un rêve meurt, y'en a toujours un autre. » Celui de Barry étant de retrouver son premier amour, Leyla. A bord d'un car Greyhound, le fugitif ravive son passé. Direction le Nouveau-Mexique.
Cette traversée de sa terre natale le confronte à la réalité des paumés, des marginaux ou des oubliés, tentés par Trump. « Barry avait reçu un authentique morceau d'Amérique. » De son côté, Seema se bat pour son fils, mais elle est épuisée. « Et si l'immensité de la tâche la stimulait ? » Face à son mari absent, elle se réfugie dans les bras d'un écrivain. Chacun affronte ses démons et ses émotions à sa façon. Peut-être faut-il passer par une phase de désillusions pour retrouver un sens à son existence ? Barry se persuade que « personne ne le connaissait vraiment ». Pas même lui-même, qui se découvre au cours de ce road-trip fondateur et rocambolesque. Jamais dans le jugement, Gary Shteyngart tente de saisir la chute d'un empire et d'un couple, si humain.
Le sarcasme ambiant ne fait qu'accentuer les doutes, l'incommunicabilité et les fragilités. Richard Ford estime que Gary Shteyngart « entend l'Amérique », et semble d'ailleurs être son digne héritier. D'un livre à l'autre, il construit une œuvre sur l'absurdité de la vie et de notre époque (cf. Absurdistan). Ce roman-ci en est l'apothéose tant il ose nous tendre un miroir. « Les choses étaient réparables. » Elles semblent aussi instables que l'identité, l'amour ou le sable, mais il nous invite à évoluer.
Lake success - Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Stéphane Roques
l’Olivier
Tirage: 6 000 ex.
Prix: 24 euros ; 384 p.
ISBN: 9782823613759