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L'édition de théâtre change de scène

L'équipe des éditions Théâtrales, de gauche à droite : Pierre Banos, Gaëlle Mandrillon, Emma Otrzonsek, Mathilde Thiou, Lola Bourgeois, Mahaut Bouticourt. - Photo Hassan Bouhouch

L'édition de théâtre change de scène

Ébranlée par la crise du Covid, l'édition théâtrale improvise, se jouant des frontières entre les genres. Plusieurs collections hybrides la portent au-delà de son habitat naturel, quand le théâtre jeunesse, lui, témoigne d'une vitalité de bon augure pour l'avenir du secteur.

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Par Souen Léger
Créé le 01.07.2024 à 20h30

Alors que la poésie connaît un regain d'intérêt, le théâtre ressent-il lui aussi ces vents portants ? Depuis quelques années, certaines maisons spécialisées jouent la carte de la porosité entre ces deux genres, voisins dans les statistiques du SNE (voir encadré) comme dans les rayons de nombreuses librairies.

Pionnière en la matière, la collection « Des écrits pour la parole » est lancée par L'Arche en 2017 avec Les nouveaux anciens, de Kae Tempest, un poème épique, entre rap et spoken words. « Nous œuvrons au décloisonnement des genres par le frottement avec d'autres formes, d'autres mises en voix et en espace, plaide Claire Stavaux, directrice de L'Arche. Cette collection, c'est un cheval de Troie pour amener des gens à lire du théâtre à leur propre surprise. »

D'autres collections hybrides ont vu le jour, en 2020 aux éditions Théâtrales avec « Lisières », puis en 2021 chez Espaces 34 avec « Hors cadre ». « Nous cherchons à sortir les textes du carcan du mot "théâtre" pour les ouvrir au champ plus large du poème, de la prose poétique, du récit », souligne Sabine Chevallier, directrice d'Espaces 34.

Le couple texte-spectacle en question

Pour ces maisons, il s'agit non seulement de montrer que les textes de théâtre ne se disent pas que sur des scènes classiques, mais aussi de les désolidariser du spectacle en tant que tel. « Aux éditions Théâtrales, 90 % de nos publications sont des textes qui n'ont pas de perspectives de création. Je demande d'ailleurs aux auteurs de dépolluer leurs textes de référents trop scéniques », détaille le directeur Pierre Banos.

Chez Actes Sud-Papiers, le leader du secteur, on ne croit pas, d'un point de vue économique, à la séparation entre le texte et le spectacle. « Ça ne marche pas, en particulier si l'auteur n'est pas connu. On va peut-être en vendre 150 ou 200 exemplaires... », considère Claire David, directrice d'Actes Sud-Papiers qui a intégré, début 2024, le nouveau Pôle des arts de la scène, qui regroupe aussi les parutions sur la musique et la danse. Présente au Festival d'Avignon, qui se tient du 29 juin au 21 juillet, elle assistera à Lacrima, de Caroline Guiela Nguyen, à Entrée des artistes, d'Ahmed Madani, ou encore à Lieux communs, de Baptiste Amann, tous parus quelques jours ou semaines avant leur représentation.

Le constat d'un besoin de décloisonnement des rayons est toutefois partagé. « Nous encourageons les libraires à positionner les pièces ailleurs que dans leur rayon dédié où il n'y a que les théâtreux qui vont ! », rapporte Claire David. En librairie, justement, plusieurs initiatives tendent à renforcer la visibilité du genre. En 2024, le théâtre était ainsi au cœur du programme des Libraires de l'Est, une comédienne faisant la tournée des librairies du réseau pour interpréter des textes. Organisées depuis 2002, les Rencontres d'été Théâtre & Lecture en Normandie prennent de l'ampleur et reviennent du 20 juillet au 25 août.

Vigilance et reconnaissance

Le pari du décloisonnement s'est révélé payant pour L'Arche. Alors que la collection « Des écrits pour la parole » ne compte que 27 titres, elle représente 100 000 euros en chiffre d'affaires, contre 300 000 euros pour le théâtre stricto sensu, avec 450 titres. « Nous restons bien un éditeur de théâtre », assure la directrice de cette maison qui publie notamment Bertolt Brecht et Jon Fosse, lauréat du Nobel de littérature en 2023. Par ailleurs, L'Arche se redéploie cette année sur les essais, tout en poursuivant son activité d'agence théâtrale, en pleine effervescence.

Se renforcer par la diversification, c'est le choix que font de nombreuses maisons spécialisées, en particulier dans l'après-Covid. « C'est une économie de très grande vigilance. Nous avons réorienté la production pour rétablir le chiffre d'affaires avec des essais, des beaux livres », indique Claire David. Aux éditions Théâtrales, la structure de diffusion créée en 2017, Théâdiff, est aussi une réussite, avec une quinzaine de maisons diffusées dont Espaces 34, Deuxième époque, Esse que, L'Œil du prince, Les Solitaires intempestifs, ou encore La Librairie théâtrale.

Équilibre précaire

Du chemin reste à parcourir pour reconnaître le travail de ces éditeurs. « Nous accomplissons un travail de longue haleine de repérage de textes, de découverte et d'accompagnement d'auteurs », soutient Sabine Chevallier. « Claudine Galea, l'autrice qu'on a le plus publiée, a éclos en matière de scène il y a quatre ou cinq ans seulement, c'est très long ! », cite-t-elle en exemple.

Dans cet équilibre précaire, le théâtre jeunesse offre un bol d'espoir. Outre des collections phares, comme celle de L'École des loisirs, créée en 1995 par Brigitte Smadja, décédée en 2023, de nombreuses maisons y consacrent un pan de leur catalogue. En 2019, pour la première fois dans l'histoire du Salon du livre et de la presse jeunesse de Montreuil, une pièce de théâtre, Babïl de Sarah Carré (éditions Théâtrales), était en lice pour le prix de la Pépite fiction junior. Jusqu'à présent, aucune pièce n'est allée jusqu'à décrocher le titre. Un prochain acte à écrire ?

Ensemble, c'est tout

Alors qu'un projet devait permettre de distinguer les chiffres de vente des rayons « poésie » et « théâtre » dans le prochain rapport annuel du SNE, la scission du sous-segment n'est plus à l'ordre du jour. Celle-ci était « conditionnée à l'obtention d'un nombre suffisamment important et représentatif de répondants sur le secteur de la poésie. Malheureusement, les éditeurs de poésie ont peu ou pas répondu à l'appel », commente le SNE. Ensemble, théâtre et poésie représentent 0,3 % du chiffre d'affaires de l'édition française, selon le dernier rapport sur « Les chiffres de l'édition » pour 2022-2023. 

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