Les intéressés en sont persuadés depuis longtemps, mais l’effet des recommandations des bibliothécaires sur les emprunts de livres n’avait jamais été évalué précisément. Clémence Thierry, dans sa thèse récemment soutenue à l’université de Paris-13 (1), l’a quantifié dans les bibliothèques parisiennes. "En l’absence de toute autre forme de recommandation hors des bibliothèques, un titre exposé sur un présentoir dédié est emprunté près de 17 fois plus qu’un titre ne bénéficiant pas d’une telle visibilité. De même, un titre ayant été labellisé "coup de cœur" est emprunté 14 fois plus souvent que celui n’ayant pas fait l’objet d’une telle recommandation", détaille la jeune chercheuse. L’effet des prix littéraires est moindre : les romans primés sont empruntés 11 fois plus que les autres (5 fois plus pour les nominés). En bande dessinée, l’effet recommandation est encore plus fort. "Lorsqu’une bande dessinée a bénéficié d’un rayonnage favorable, elle est empruntée plus de 20 fois plus", écrit-elle. Et l’étiquetage "coup de cœur" multiplie le taux d’emprunt par 34, quand l’indice de l’effet prix littéraire est à 27.
Pour obtenir ce résultat, Clémence Thierry a travaillé sur les données d’emprunts de 39 bibliothèques publiques de Paris de janvier à avril 2012, en retenant les titres de fiction de la section adulte et les bandes dessinées. Soit un corpus de 147 000 titres dans le premier cas, et de 26 000 dans le second, et une population de 217 000 inscrits majeurs et actifs, ayant emprunté au moins un livre dans les douze mois précédents. Elle a isolé les ouvrages placés sur un présentoir (1 069 en romans), signalés d’une étiquette favorable (50), ayant reçu un des dix prix littéraires majeurs entre 2006 et 2010 (42 ; ceux de l’année 2011 étant alors à peine intégrés au catalogue début 2012), ayant été nominés (319) ou encore figurant dans le classement des meilleures ventes de Livres Hebdo (417). Le nombre d’emprunts pour chaque catégorie d’ouvrages a ensuite permis d’évaluer l’effet de chacune de ces distinctions, seul ou cumulé.
Ces données permettent aussi de quantifier l’effet de longue traîne : "pour la fiction, 363 709 emprunts ont été réalisés sur 41 916 titres". 20 % des titres concentrent 67 % des emprunts (61 % en BD), signe d’une diversité certaine, qui peut s’expliquer par l’effet des recommandations des bibliothécaires, mais aussi par les contraintes de la liste d’attente qui entraîne le report vers d’autres livres. Par comparaison, une étude sur la rentrée littéraire de 2005 signalait que 16 % des titres attiraient 83 % des ventes.
Impact en librairie
D’autre part, la recommandation des bibliothécaires peut aussi entraîner des achats en librairie. Plus difficilement mesurable, l’effet a été évalué cette fois par sondage auprès d’un échantillon de 2 500 emprunteurs. 57 % d’entre eux ont déclaré que "l’emprunt d’un ouvrage peut engendrer son achat". Le prêt n’assèche pas l’achat, et il y a une "corrélation positive" entre les deux même si "l’effet de possession est toutefois relativement faible dans la mesure où la réponse de "temps en temps" est la plus fréquente" (46 %). Ce résultat conforte donc, au moins à Paris, "les liens entre bibliothèques et points de vente du livre, les premières pouvant constituer un relais de consommation pour les autres", estime Clémence Thierry dans la seconde partie de sa thèse.
(1) "Mode de consommation et modes d’accès aux biens culturels à l’ère numérique. Le cas du livre". Thèse de sciences économiques sous la direction de Françoise Benhamou, soutenue en octobre. Mention très honorable, avec les félicitations du jury. 199 pages, non publiée ; le chapitre sur les recommandations des bibliothèques est disponible dans le numéro 2015/2 de la revue Réseaux (La Découverte). Une troisième partie compare la tarification des livres imprimés et numériques en France et aux Etats-Unis.