« Tout est éphémère : celui qui se souvient et ce dont il se souvient », « Bientôt tu auras tout oublié ! Bientôt tous t’auront oublié ! » L’auteur de ces pensées a gouverné l’Empire romain pendant près de vingt ans, de 161 à 180. Comment Marc Aurèle (121-180) a-t-il concilié son stoïcisme et son action, notamment lors des huit années passées sur les champs de bataille dans cette Europe centrale contre les peuples germaniques sur le Danube ?
La résolution de cette énigme est au cœur de la belle biographie d’Yves Roman. Ce professeur d’histoire ancienne à l’université Lumière Lyon-2, déjà auteur d’un Hadrien, l’empereur virtuose (Payot, 2008), tente de circonscrire la personnalité de cet homme épris de justice qui guerroyait le jour et écrivait en grec la nuit.
Hormis quelques passages arides sur la généalogie, histoire de mettre à l’épreuve le stoïcisme de ses lecteurs, Yves Roman suit l’itinéraire de cet empereur paradoxal qu’il replace dans son contexte historique, bien sûr, mais aussi spirituel. Car Marc Aurèle vécut sa philosophie non comme un enseignement, mais comme un mode de conduite. Et ses pensées peuvent être envisagées comme des exercices spirituels qui reprennent les conseils d’Epictète.
Marc Aurèle apparaît comme un homme de son temps qui fit son « petit métier » d’empereur. Son sens aigu de la conscience morale ne l’empêcha pas de persécuter les chrétiens qu’il ne comprenait pas - le martyre de sainte Blandine à Lyon - ni de maintenir les principes les plus hiérarchiques, notamment de l’esclavage. Traiter de façon humanitaire une société inégalitaire résume sa méthode. Pourtant, ce stoïque qui considérait la bienveillance comme le propre de l’homme, ce qui lui valut d’être élevé au rang des dieux à sa mort, fut contraint de désigner son fils, « le gladiateur pervers ». Commode pour lui succéder.
Laurent Lemire