29 AOÛT - ROMAN France

Claude Arnaud- Photo JÉRÔME BONNET/GRASSET

Pour Claude Arnaud, il y a un avant et un après-68. Cadet au sein d'une fratrie de quatre frères, il n'a à l'époque que 13 ans, mais les événements de mai allaient bouleverser le cours de son destin. Adieu morne Boulogne, à nous deux Paris ! A peine sorti du lycée, celui que ses aînés nommaient "Clodion le chevelu" devient Bastien le militant trotskiste, distribuant des tracts à la sortie des usines, puis participant aux actions de la Gauche prolétarienne. Mais la révolution n'est pas seulement politique, la mue du jeune narrateur est un éveil aux sens et aux sexes sans distinction, le gavroche androgyne s'appellera Arnulf... Biographe des caméléons et des personnalités labiles (Chamfort l'antiécrivain à la fois jacobin et mondain, Cocteau le poète aux mille facettes), Claude Arnaud s'était penché sur son propre cas dans un roman autobiographique, Qu'as-tu fait de tes frères ? (Grasset, 2010) : il y faisait le récit de sa jeunesse émancipée par le mouvement soixante-huitard, mais également frappée par le malheur (une mère morte de leucémie à 50 ans, un grand frère suicidé). Brèves saisons au paradis est la suite de ce cheminement intellectuel et affectif. Au début des années 1980, Claude s'est installé avec son amant Jacques (Fieschi), directeur de la revue Le Cinématographe, chez le compagnon de ce dernier - Bernard (Minoret), un prince de la conversation qui a su élever l'indolence au niveau de l'art. Trois générations sous un même toit : Claude a 25 ans, Jacques la trentaine, et Bernard la cinquantaine. L'appartement de la rue de Verneuil est le théâtre d'un amour à réinventer. La séduction infinie de Jacques donne le vertige à Claude, jeune étudiant de lettres. Quant à Bernard, il mène une existence d'esthète d'un autre âge. Cette utopie de ménage à trois, c'est la réinterprétation loufoque de la chambre bleue de Mme de Rambouillet : "Il doit toujours se passer quelque chose, dans les 120 m2 qu'on occupe." Des individualités hautes en couleur fréquentent la rue de Verneuil. Les bons mots fusent et les vedettes en prennent pour leur grade : "Catherine D'occase", alias Deneuve ; "Fée du Navet", à savoir Faye Dunaway ; ou encore le père du nouveau roman, "Bob-grillé". Quand débarque un jeune acteur découvert dans un film de Rohmer du nom de Fabrice. Son art de l'imitation et son esprit tranchant suscitent "des orgasmes de rires". Puis un jour l'hilarité s'estompe et le désir s'en va, Jacques en aime un autre. Claude souffre mais renaît : il rencontrera Anne. Aucune amertume dans ces pages, mais la grâce d'une plume qui sait refaire vibrer la lumière de toute une époque, retracer sans complaisance la généalogie d'une identité multiple.

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