Les Ardennes ou l'ardeur

Aurélie Lambert et Carine Belaïch ont ouvert la librairie-salon de thé Lecture & Confiture à Rethel. - Photo STUDIO GRAND ANGLE - Justine Caballina

Les Ardennes ou l'ardeur

Le Bas-Rhin, et notamment Strasbourg, concentre le plus grand nombre de librairies du Grand Est sans en avoir le monopole. Ainsi, dans les Ardennes, sept librairies indépendantes, dont deux créées en 2023, font vivre le livre sur un territoire rural.

J’achète l’article 1.5 €

Par Souen Léger
Créé le 14.06.2024 à 06h40

Le Bas-Rhin, et notamment Strasbourg, concentre le plus grand nombre de librairies du Grand Est sans en avoir le monopole. Ainsi, dans les Ardennes, sept librairies indépendantes, dont deux créées en 2023, font vivre le livre sur un territoire rural.

Département le plus précaire du Grand Est - 18 % de la population est en situation de pauvreté - mais aussi très rural, les Ardennes n'offrent pas, au premier abord, le terreau le plus fertile pour le commerce de livres. Et pourtant. Malgré la fermeture en mars 2024, faute de repreneurs, de l'emblématique librairie de Mohon à Charleville-Mézières, sept enseignes, historiques ou récemment ouvertes, s'y distinguent par leur dynamisme.

Les Ardennes ou lardeur1.jpg
Le rayon manga et pop culture de la librairie Rimbaud, à Charleville-Mézières.- Photo LIBRAIRIE RIMBAUD

« De Gaulle parlait des Ardennes vertes ! Nous avons souvent été catalogués comme le fin fond de la France, mais nos offres et nos programmations sont très riches », vante Ronan Ninin, président de l'association des Libraires de l'Est (LiLE) et gérant de la librairie-café associative Plume et Bulle, installée à Charleville-Mézières depuis 2015. « J'ai toujours vu les Ardennes très lectrices », souligne ce libraire spécialisé en BD.

Un constat partagé par Régis Lefranc, directeur de la librairie Rimbaud, à 110 m de Plume et Bulle. Parmi les explications possibles ? « Notre histoire, marquée par l'industrie, métallurgique notamment, mais aussi par les deux guerres mondiales, ancre une culture mémorielle dans les comportements, ce qui mène peut-être au livre, esquisse le libraire. Et puis nos hivers sont très longs et très froids ! »

Preuve de cet attachement au livre, lorsque la librairie Rimbaud manque de fermer en 2014, la nouvelle provoque un tollé, et c'est finalement Geneviève Lamour qui reprend le flambeau. Affichant un chiffre d'affaires de 3,3 millions d'euros en 2023 (contre 2 millions il y a dix ans), la société a racheté en 2020 la librairie religieuse À livre ouvert, étendue depuis au bien-être et au développement personnel, et repensé ses cinq étages pour rajeunir la clientèle. « Très rapidement, nous avons mis en vente des tablettes, des objets connectés, auxquels sont venus s'ajouter des drones, des trottinettes... Bref, toute la panoplie de l'ado d'aujourd'hui », explique Régis Lefranc, qui s'apprête à ouvrir un rayon dédié au vintage numérique.

Outre cette librairie historique, qui existe depuis 1976, la ville natale de Rimbaud accueille trois des sept librairies ardennaises (Plume et Bulle, Chez Josette, À livre ouvert), sans compter les bouquinistes. Mais pour Régis Lefranc, « on ne couvre pas la demande de livres dans l'agglomération, il y a encore de la place pour des librairies, même à -Charleville ».

Une place, Annabelle dall'Acqua peine à en trouver une à Sedan, deuxième ville du département. Un an après l'ouverture de sa librairie jeunesse Aux contes d'Anna, où elle a multiplié les animations, elle se dit « en sursis » et envisage une fermeture « fin juin ». « Je me suis installée à Sedan en étant convaincue que j'allais trouver mon espace en occupant la niche jeunesse », raconte celle qui a commencé sa carrière à la librairie Rimbaud avant de travailler dans la téléphonie jusqu'en 2022. Proposant une offre en complément de celle de la librairie généraliste Carnot, elle regrette de ne pas avoir reçu le soutien de commandes de collectivités. « Cela m'aurait laissé du temps, c'est très frustrant, souligne-t-elle. J'aurais peut-être mieux fait d'aller en ruralité. »

Car les Ardennes comptent encore nombre de zones blanches. « La pointe de Givet est très mal desservie, avec une Fnac mais aucune librairie indépendante. Comme elle est enclavée en Belgique, beaucoup ont l'habitude de traverser la frontière », cite en exemple Ronan Ninin. Même constat dans « la vallée de la Meuse, où les villes et villages sont de plus en plus éloignés, ce qui rend l'implantation plus compliquée ».

Pour Carine Belaïch et Aurélie Lambert, propriétaires de la librairie-salon de thé Lecture & Confiture, s'installer dans le centre de Rethel, commune de 7 700 habitants, était une évidence. « Depuis 2019 et la fermeture des Guillemets, il n'y avait plus de librairie indépendante, il fallait aller à Reims ou à Charleville-Mézières », relate la Rethéloise Aurélie Lambert. Ouverte en avril 2023, la librairie affiche déjà un chiffre d'affaires de 280 000 euros, « au-delà des objectifs fixés dans le business plan ». Le salon de thé - et les cookies de Carine, dont une centaine est vendue chaque mois - a notamment trouvé son public, représentant plus de 10 % des recettes. « Des jeunes viennent même faire leurs devoirs ici », observe la gérante.

Toutes deux issues de l'événementiel, les deux néolibraires mettent l'accent sur l'animation, en partenariat avec le théâtre de Rethel pour accueillir des rencontres hors la librairie. « On a reçu 28 auteurs en un an », se félicite Aurélie Lambert.

Depuis l'ouverture, les deux associées ont réalisé quelques ajustements. Le rayon dédié aux Ardennes a par exemple été étendu. « On ne pensait pas que ça marcherait si fort ! Notre meilleure vente est le journal d'une jeune femme, habitante de Faissault, qui a couché sur papier son quotidien sous occupation allemande pendant la Première Guerre mondiale », indique-t-elle. La librairie change aussi de transporteur et n'hésite pas à se tourner vers ses confrères de Plume et Bulle pour des conseils pros. Pour le binôme, l'année à venir sera déterminante. « Nous étions financées par Pôle emploi, ce qui ne sera plus le cas à partir de maintenant. Mais nous sommes sur une phase ascendante ; pourvu que ça dure ! »

Les dernières
actualités