Tintin au Congo repasse devant un tribunal, en l’occurrence celui de première instance de Bruxelles. Bienvenu Mbutu Mondondo, citoyen de la République Démocratique du Congo (RDC) résidant en Belgique, vient en effet de relancer la procédure qu’il avait initiée en 2007. Cette année-là, à la suite d’une plainte de David Enright, un client anglais estimant « raciste » le Tintin au Congo d’Hergé après l’avoir feuilleté dans une librairie de la chaîne Borders, les soixante-huit autres enseignes de la chaîne avaient déplacé l’album des rayons des bandes dessinées pour enfants vers ceux destinés aux adultes. David Enright, par ailleurs avocat, soulignant que l'album d'Hergé propageait des stéréotypes, avait en outre porté plainte auprès de la Commission britannique pour l'égalité raciale. L'organisme gouvernemental lui donna raison et, par voie de communiqué, attesta que l'ouvrage était rempli « d'horribles préjugés raciaux ». C’est pourquoi, la version originale de Tintin au Congo distribuée au Royaume-Uni fut ensuite accompagnée d'une note d'avertissement expliquant le contexte colonial de l'époque durant lequel elle avait été créée. Apprenant le résultat obtenu par David Enright, Bienvenu Mbutu Mondondo déposa plainte à son tour, pour « racisme et xénophobie », contre le même ouvrage, devant les juridictions belges. Il souhaitait obtenir de la société Moulinsart, gestionnaire des droits de l'œuvre d'Hergé, l'interdiction de l'album, toujours vendu à des dizaines de milliers d'exemplaires chaque année. À l'appui de sa plainte, Bienvenu Mbutu Mondondo citait plusieurs passages de l'album, notamment celui où Tintin ordonne aux passagers d'un train qu'il vient de percuter, de le redresser sur le champ. « Allez, au travail, vite ! », hurle le reporter aux Congolais. Dans son coin, Milou ajoute : « Allons, tas de paresseux, à l'ouvrage ! ». Les Congolais, qui s'expriment toujours en un français approximatif, remercient Tintin : « Li missié blanc, très malin ». Quand il n'est pas « très malin », ou « très juste », le « missié blanc est bon », à l'image du père blanc évangélisant les enfants. La société Moulinsart s'est étonnée de voir une telle polémique ressurgir alors qu'Hergé, maintes fois attaqué dans les années soixante sur sa vision du Congo, s'était publiquement justifié : « Il a toujours dit que Tintin au Congo était une œuvre de jeunesse, et qu'il fallait tenir compte du contexte historique », a expliqué Marcel Wilmet, le porte-parole de la société Moulinsart. Après son retour du pays des Soviets, Hergé voulait faire voyager Tintin en Amérique. Son patron, le directeur du Petit Vingtième , souhaitait l’envoyer au Congo représentant, à cette époque, pour la Belgique, un Eldorado : quatre-vingts fois plus vaste que le pays qui le colonisait, pourvu d’un sous-sol d’une incroyable richesse, ce gigantesque territoire était confronté à une incessante pénurie de main-d’œuvre. Hergé avait donc pour première mission de faire œuvre d’agent publicitaire. L’histoire commença à paraître le 5 juin 1930. Et aucun Belge ne songea alors à s’en offusquer. En 1946, Hergé redessina cependant l’opus aujourd’hui « litigieux » pour intégrer le passage à la couleur et se plier aux soixante-deux pages de rigueur de la publication en album. Cette nouvelle version lui permit de réaliser de nombreuses modifications. Par exemple, la leçon de géographie que Tintin donne sur le thème « Votre patrie, la Belgique » est remplacée par une leçon d’arithmétique. Il retravailla également les dialogues. Toutefois, Tintin adopte toujours une attitude pouvant facilement apparaître aujourd’hui comme peu politiquement acceptable. Quand il ne chasse pas, il se promène en chaise à porteurs ou sermonne une tribu belliqueuse infantilisée. Tintin est tour à tour contremaître inopiné, juge de proximité, pharmacien improvisé, doublure d’un religieux enseignant. La version auto-censurée continue à véhiculer les « intentions » d’origine : le Blanc bienveillant vient sauver un peuple à la dérive. Dans la version de 1946, comme dans celle de 1930, l’attitude de Tintin est le reflet exact d’une période où l’Occident se donnait une mission sacrée de civilisation. Sollicité par Bienvenu Mbutu Mondondo, le Centre pour l'égalité des chances de Bruxelles n'a pas souhaité s'associer à sa plainte : « C'est de l'hyper politiquement correct, qui frise le ridicule, a estimé son directeur, Joseph De Witte. Pour contrer le racisme, nous préférons lutter contre les discriminations à l'emploi ou au logement. » Nonobstant, la procédure a donc pris un nouvel élan en décembre dernier. Cette fois, le Conseil représentatif des associations noires (le CRAN) a décidé de soutenir Bienvenu Mbutu Mondondo. Il s’agit à présent de juger la demande visant à placer un bandeau explicatif et un texte « contextualisant le sujet dans l’époque ». Ce n’est que faute d’obtenir gain de cause sur ce point que Bienvenu Mbutu Mondondo sollicitera « l’interdiction pure et simple » de la bande dessinée. Les choses se sont toutefois compliquées avec l’arrivée d’un nouveau plaignant, Monsieur Okota, résidant à l’étranger, auquel le tribunal de Bruxelles a ordonné, le 27 décembre, de déposer une caution. Ce n’est qu’ensuite que les juges belges se déclareront ou non compétents. Plus de septante-neuf années après la parution de l’édition originale, nous n’en sommes plus à quelques mois près.