A la médiathèque Valentin-Haüy, à Paris, les aveugles sont rois, et ce depuis 1886. Fondée par Maurice de La Sizeranne, elle est aujourd’hui la plus grande bibliothèque francophone braille au monde et offre près de 24 000 livres audio, dont beaucoup sont enregistrés sur place par une équipe de 13 personnes, et 20 000 livres en braille, consultables sur place ou à distance. La structure fait tout pour rendre la lecture la plus accessible possible. Comme elle travaille essentiellement à distance, en envoyant les documents aux abonnés, "la révolution numérique a été une bénédiction", résume Luc Maumet, le responsable de la médiathèque. "Nous avons pu mettre en place une bibliothèque en ligne, Eole, sur laquelle les abonnés peuvent télécharger directement les livres de nos collections. Nous envoyons désormais les livres audio ou en braille numérique sur des CD gravés. Cela nous permet aussi de faire des échanges plus facilement avec d’autres structures à l’étranger." Pour les inconditionnels du papier, les livres sont toujours disponibles en braille. Pour faire connaître son existence et mettre ses outils à la disposition du plus grand nombre, la médiathèque a lancé un partenariat avec 80 bibliothèques publiques. Ces partenaires disposent ainsi d’une collection de 200 livres audio en format Daisy (2 euros par CD), d’appareils de lecture adaptés et d’un service d’accompagnement.
La clé de l’accessibilité
Mais il n’y a pas que les bibliothèques spécialisées qui développent l’accessibilité. Depuis la loi de 2005 sur l’égalité des chances, les établissements publics ont pour mission de s’ouvrir aux publics handicapés. Meilleure mise en avant des livres adaptés, création de pôles dédiés, ateliers autour des livres tactiles pour les faire connaître, les initiatives ne manquent pas dans les bibliothèques. La plupart ont constitué un fonds de livres en gros caractères, très populaires, de livres sonores, et mis en place des services de portage à domicile afin de faciliter l’accès des publics empêchés, qui ont plus de difficultés à se déplacer. "Il y a un intérêt croissant des professionnels pour ces problématiques, une vraie demande de formation afin d’avoir les clés pour faire venir ces publics", explique Françoise Sarnowski, ancienne bibliothécaire à la médiathèque des Champs libres, à Rennes, désormais consultante en accessibilité au sein de l’association Bibliopass. Elle propose justement des formations spécifiques destinées aux bibliothécaires pour les aider à sélectionner des livres "faciles à lire" - des livres courants, simples, qui ne poseront pas de problèmes de compréhension aux lecteurs ayant des difficultés. Pour elle, la clé de l’accessibilité, c’est la mise en avant de cette offre adaptée. "Il faut surtout que le fonds soit visible et facilement accessible, c’est ce qui va pousser les gens à venir. C’est plus important que la taille du fonds."
Certaines médiathèques se placent même à la pointe de l’innovation. C’est le cas de José-Cabanis, à Toulouse, qui a ouvert un pôle dédié aux lecteurs déficients visuels, L’Œil et la lettre, dès 2004. Celui-ci propose des livres en gros caractères, des livres en braille, des documents sonores, et un fonds de textes enregistrés en format Daisy (qui viennent de la médiathèque Valentin-Haüy). L’équipe n’en est pas restée là. Pour que les aveugles et malvoyants puissent être autonomes le plus possible, elle met à disposition des abonnés un Milestone, un petit boîtier qui permet de scanner le code de l’ouvrage et d’obtenir la retranscription sonore de la notice bibliographique. "Grâce à ce boîtier, les lecteurs peuvent se balader dans toute la médiathèque, choisir des films, des livres avec leurs enfants", explique une bibliothécaire. Un de ses collègues accueille aussi sur rendez-vous les lecteurs aveugles pour leur apprendre à utiliser les bibliothèques numériques en ligne comme Eole ou la Bibliothèque numérique francophone accessible (BNFA). Une quinzaine de personnes prennent rendez-vous chaque semaine. Enfin, la médiathèque veut sensibiliser le public sourd au livre. "Nous avons installé des cabines de téléphone qui permettent à un sourd d’appeler un proche entendant. Une interprète en langue des signes, connectée par webcam, traduit à chacun la conversation, explique la bibliothécaire. 80 % des sourds ont des problèmes de lecture, car le français est pour eux une seconde langue, qu’ils n’entendent pas. C’est un moyen de les faire venir à la médiathèque et vers la lecture."