Paru en Egypte en 2016, on se demande bien comment ce roman a pu échapper à la censure étatique du régime Al-Sissi. Non point qu'il soit, à nos yeux de lecteurs occidentaux, choquant, explicite ou provocateur, mais, en terre d'islam, s'il est bien un tabou absolu, c'est l'homosexualité, même si elle y occupe une place non négligeable dans la société, la tradition littéraire, voire la vie quotidienne.
Mais tout se pratique en général dans l'intimité, le non-dit. Et puis, parfois, une affaire éclate, qui ramène la question au grand jour, non sans risques pour ses malheureux protagonistes. Ainsi de la « rafle du Queen Boat », une péniche amarrée sur le Nil, en plein centre du Caire, où les gays locaux, entre autres, avaient coutume de se retrouver pour faire la fête, certains jours fixes de la semaine, sans se cacher particulièrement. Cela a duré. Et puis, le 11 mai 2001, la police débarque, procède à des arrestations massives, sur le bateau lui-même, mais aussi dans les parages. C'est ainsi que Hani Mahfouz, le héros et narrateur du roman de Muhammad Abdelnabi (son deuxième), est embarqué parce qu'il donnait la main à un de ses amis, le beau Abdelaziz. Mais si celui-ci, issu d'une grande famille, va vite se faire relâcher grâce à son avocat, son pauvre compagnon de galère, Hani, va, lui, subir un véritable calvaire. Interrogé sans ménagements et dans la plus stricte illégalité, trimballé de commissariats en prisons, il finira condamné par un tribunal aux ordres à six mois d'incarcération. On imagine aisément ce qu'il y a vécu, sur quoi d'ailleurs il ne s'attarde guère. En revanche, il « positive », puisque c'est en prison qu'il fera la connaissance de Karim, lequel prend soin de lui, et demeurera son ami.
Après sa libération, le 18 novembre, grâce à son ami le Prince, un mystérieux protecteur de ceux qui se nomment entre eux « les Chéris », Hani va demeurer prostré, puis reprendre ses sorties nocturnes. Mais sa vie ne sera plus jamais normale. Ni vis-à-vis de sa mère, une actrice célèbre dont la mort le choquera, ni vis-à-vis de sa femme, contrainte de demander le divorce. Leur fille, Badria, lui manquera beaucoup. Qu'on ne s'étonne pas de ce mariage : dans nombre de sociétés du Sud, où la sexualité est régie par des codes religieux et moraux rigides, les garçons « s'amusent » lorsqu'ils sont jeunes, puis se rangent, quitte à mener une double vie. C'est plus ou moins toléré, selon les pays et les moments.
Tout cela est raconté par Hani, et de son point de vue, non de façon linéaire, mais en mêlant l'avant, le pendant et l'après de sa détention, de façon très personnelle. Les amateurs de porno en seront pour leurs frais. En revanche, derrière l'histoire, c'est tout un aspect de la société égyptienne qui se dévoile, où les Chéris ne sont pas tous les jours à la fête. Les journalistes, les écrivains, les opposants politiques non plus.
La chambre de l’araignée - Traduit de l’arabe (Egypte) par Gilles Gauthier
Sindbad
Tirage: 2 800 ex.
Prix: 22,50 euros ; 320 p.
ISBN: 9782330122201