Gallimard propose trois volumes inédits de la correspondance de Camus, des années de guerre jusqu’à sa mort, avec trois figures littéraires de son temps : Roger Martin du Gard, qu’il rencontra en 1944 alors que l’auteur des Thibault était déjà chenu et nobélisé, Francis Ponge, dont il fit la connaissance à Lyon en 1943, et Louis Guilloux, fidèle ami de Jean Grenier, le mentor de Camus, qui les présente chez Gallimard en 1945. Camus, imposé dès la publication de L’étranger en 1942 comme un écrivain majeur, directeur de la revue Combat et animateur de la collection « L’espoir » chez Gallimard, échange avec ces trois hommes de façon à la fois semblable, puisqu’on y trouve toujours un épistolier sincère, prêt à avancer une mensualité ou à faire circuler un manuscrit, et totalement différente. C’est l’intérêt de lire ces trois volumes comme un triptyque. A Martin du Gard, Camus voue une tendresse filiale, et c’est avec une affection toute paternelle que celui-ci se réjouit, en 1957, de la distinction de Camus par l’académie suédoise (« vestimentairement […] on s’en tire avec quatre tenues, mais pas moins », lui indique-t-il dans une longue lettre). Les rapports entretenus par Camus et Ponge sont très différents : émerveillés par leur lecture réciproque, les deux écrivains débattent de l’absurde, de la création poétique, du communisme. Leur échange est riche, notamment la critique du Parti pris des choses à la lumière du Mythe de Sisyphe. Mais l’intérêt intellectuel ne se convertira pas en une amitié aussi profonde que celle qui lie Camus à Louis Guilloux. La complicité qui unit l’auteur du Sang noir et celui de La peste semble totale : vacances communes, relecture de manuscrits, conseils de santé… C’est aussi Guilloux qui mènera Camus sur la tombe de son père, mort au combat, épisode fondateur du Premier homme. Dans ses lettres, Camus se montre un peu fouillis, mais toujours attentif, et l’ensemble dresse un riche tableau de l’après-guerre littéraire. Le pointilleux appareil d’annexes établi par des spécialistes de ses interlocuteurs permet de se plonger dans le tourbillon de cette époque.
< Fanny Taillandier