Dimitri Bortnikov n'est pas vraiment un inconnu. Deux de ses romans écrits en russe - Svinobourg et Le syndrome de Fritz - ont déjà paru, au Seuil et aux éditions Noir sur blanc, en 2005 et 2010. En 2008, le gaillard qui habite en France depuis 2000 s'était essayé une première fois à notre langue le temps d'un texte, Furioso, imprimé par les éditions MF dans une collection dirigée par Arno Bertina et Bastien Gallet.
Désormais hébergé chez Allia, le voici qui signe un bien singulier Repas des morts. Au début, tout le monde chante. Les acteurs du porno sur l'écran, comme le père du narrateur au bout du téléphone. C'est son deuxième appel depuis la disparition de celle qui était l'épouse de l'un et la mère de l'autre. Celle qui est maintenant "dans la terre froide".
La défunte hachait le lapin, les mains couvertes de sang, lorsqu'on annonçait des invités. "Les matins, elle aidait à mettre au monde des nouveau-nés et l'après-midi elle faisait des avortements", explique encore son fils, que l'on appelle "Dim". Lequel est un écrivain fauché qui parle tout seul, sombre, donne la réplique à sa mère morte depuis Paris et sa "chambrette pourrie". Les images remontent, fortes, d'une famille qui "meurt dans la rue". D'un grand-père qui a fait deux guerres. De la steppe. De l'époque où Dim était "troufion". De celle où il était heureux avec Damiane.
Dimitri Bortnikov change de plateau, de vitesse, de registre. Ordonne ses phrases à sa guise à mesure qu'il avance. Puissante, heurtée, sa prose ne ressemble à aucune autre. Quant à son Repas des morts, il est de ceux qui nourrissent, que l'on met longtemps à digérer mais que l'on n'est pas prêt d'oublier.