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Les enfants de Rose la Rouge

Jonathan Lethem - Photo John Lucas/L’Olivier

Les enfants de Rose la Rouge

Jonathan Lethem présente trois générations de dissidents et de contestataires dans l’Amérique des années 1950 à nos jours. Une histoire américaine.

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Par Olivier Mony
Créé le 04.03.2016 à 01h00 ,
Mis à jour le 04.03.2016 à 11h12

Parmi les grands romanciers américains de la génération Franzen, Foster Wallace ou Eugenides, Jonathan Lethem demeure de manière incompréhensible, en France au moins, le plus méconnu. Sur sa fiche Wikipédia, après sa date et lieu de naissance (février 1964, à Brooklyn), le lecteur apprendra seulement qu’il est "un écrivain de science-fiction et de roman policier". C’est un peu court, tant depuis Alice est montée sur la table (L’Olivier, 2000) et surtout les "romans totaux" que furent Forteresse de solitude et Chronic city (L’Olivier, 2006 et 2011), ses lecteurs savent que Lethem ne furète dans les contre-allées de la littérature de genre que pour y puiser la manière d’une œuvre profondément postmoderne et résolue à dire, de toutes les façons possibles, la chute du rêve américain.

De ce point de vue-là, Jardins de la dissidence, son nouveau roman, ne dépare pas. Il n’est pas interdit d’espérer que l’ampleur de son ambition lui permette de rencontrer enfin le vaste lectorat qu’il mérite. De quoi s’agit-il ? D’une histoire juive, d’une histoire rouge, d’une histoire de la radicalité, d’une histoire de famille : en résumé bien sûr, d’une histoire américaine.

Voilà d’abord, à l’heure d’Eisenhower et de la guerre froide, Rose, Rose Zimmer, juive donc, communiste et new-yorkaise. Alors qu’elle n’était encore qu’une jeune mère, son mari l’a quittée pour aller porter la bonne parole en Allemagne de l’Est. Elle est à la fois un peu trop exaltée et lucide pour obtenir toute la confiance du Parti, qui ne tarde pas à l’exclure sous le prétexte ambigu qu’elle est devenue la maîtresse d’un policier noir.

Voilà ensuite Miriam, sa fille. Elle a rompu avec l’orthodoxie et la colère de sa mère, lui substituant les plaisirs et les impasses de la contre-culture, préférant en quelque sorte Dylan à Marx, mais ne renonçant en rien à l’espérance politique, jusqu’au sacrifice de sa vie.

Voilà enfin Sergius, fils de l’une, petit-fils de l’autre, qui voudrait bien se tenir tranquille, comprendre ce que furent les combats et les peines de cette ascendance envahissante, mais comme un cheval égaré retourne à l’écurie, va se retrouver embringué dans les luttes des "hacktivistes" d’aujourd’hui et auprès du mouvement Occupy Wall Street.

Pour brosser un tel tableau, infiniment romanesque, où les exigences des radicalités ne font jamais oublier les destins individuels, Lethem use de toutes ses ressources. Déstructurant son récit, il nous le présente comme un tableau cubiste qui serait d’abord un constat de décès. Moins d’ailleurs celui de l’espérance en des mondes meilleurs que celui de la "poursuite du bonheur" inscrite, on le rappelle, dans la Constitution des Etats-Unis. A lire Jardins de la dissidence, traversé de la mélancolie propre à la littérature judéo-américaine, on songe à une version grave, endeuillée, des fictions spéculatives d’un Michael Chabon. Si Howard Zinn avait été romancier, c’est peut-être le livre qu’il aurait écrit. Et avec Jonathan Lethem, le roman, à la différence du communisme, a de beaux jours devant lui. Olivier Mony

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