PENGUIN RANDOM HOUSE

Les groupes toujours plus gros

La ville-livre, Foire de Francfort 2012. - Photo OLIVIER DION

Les groupes toujours plus gros

Annoncée à la fin d'octobre pour se concrétiser dans le courant de l'année 2013, la fusion de Penguin et de Random House marque non seulement la naissance d'un mastodonte du "trade", l'édition généraliste, mais aussi l'extension de la mondialisation du secteur, qui touchait auparavant avant tout l'édition scientifique et professionnelle. Analyse.

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Par Fabrice Piault
Créé le 28.10.2014 à 17h36 ,
Mis à jour le 17.12.2014 à 17h14

Hyperconcurrents aux Etats-Unis comme sur l'ensemble des marchés du livre de langue anglaise, voici Penguin et Random House sur le sentier de la paix. C'est peu dire que le groupe britannique Pearson, leader mondial de l'édition grâce en particulier à la position prééminente de Pearson Education, et l'allemand Bertelsmann ont surpris en annonçant le 29 octobre la mise en commun des activités de leurs filiales respectives dans le "trade", l'édition généraliste (1). Certes, Pearson se réserve le droit de continuer à utiliser la marque Penguin sur les marchés éducatifs internationaux. Et Bertelsmann, qui est entré dans un processus d'acquisition du groupe allemand d'édition scientifique Springer, conserve en direct ses activités en Allemagne, où il est numéro un de l'édition. Mais, sur la base des données de 2011 rassemblées dans notre classement annuel Livres Hebdo de l'édition mondiale (voir graphique ci-dessous et LH 915, du 22.6.2012, p. 12-21 pour plus de détails), le nouveau groupe Penguin Random House, dont la constitution devrait être finalisée dans le courant de l'année prochaine, pourrait concentrer un chiffre d'affaires de près de 3 milliards d'euros, loin devant son challenger Hachette Livre.

Les douze premiers groupes d'édition après la fusion de Random House et Penguin. Chiffres d’affaires 2011 en millions d'euros. - Photo SOURCE : "CLASSEMENT LIVRES HEBDO 2012 DE L'ÉDITION MONDIALE", VOIR LH 915 DU 22.6.2012, P. 12.

DANS D'AUTRES LANGUES

Contrôlé par Bertelsmann avec, dans un premier temps, 53 % des parts, Pearson en conservant 47 %, le nouveau groupe sera le leader incontesté du "trade". Il pourrait peser quelque 25 % du marché du livre anglophone, mais aussi développer son activité dans d'autres langues. Une semaine après l'annonce de la fusion Penguin Random House, Bertelsmann annonçait aussi la reprise des parts que l'italien Mondadori détenait dans la filiale espagnole commune à 50/50, Random House Mondadori. Celle-ci sera intégrée à Penguin Random House et lui permettra de se développer non seulement dans la péninsule Ibérique mais aussi en Amérique latine et sur les marchés hispanophones d'Amérique du Nord et d'Asie. Avec John Makinson (Penguin) comme président du conseil d'administration, et Markus Dohle (Random House) comme directeur général, Penguin Random House développera aussi ses marchés au Canada, en Australie et en Nouvelle-Zélande, en Inde, en Afrique du Sud et en Chine, où les deux groupes sont déjà plus ou moins présents sous diverses formes.

Si les concentrations ne sont pas nouvelles dans l'édition généraliste, c'est bien aujourd'hui dans une nouvelle dimension qu'elles se développent, à l'instar d'un mouvement qui a touché vingt ans plus tôt une édition professionnelle et académique massivement mondialisée aujourd'hui autour de groupes comme Reed Elsevier, Thomson Reuters ou Wolters Kluwer, pour ne parler que des plus importants. Pour les principaux acteurs du "trade", il ne s'agit plus seulement, comme dans les années 1980 ou 1990, de renforcer des positions et de procéder à des économies d'échelles sur tel ou tel marché national ou dans telle ou telle aire linguistique, mais, dans une logique "hollywoodienne", de se donner les moyens de contrôler largement les droits d'auteurs et d'orchestrer des lancements et des succès mondiaux, sur les traces d'Harry Potter, du Da Vinci code, de Twilight, de Fifty shades of Grey ou de Millenium. C'est fort de sa position de leader au Royaume-Uni qu'Hachette a pu par exemple obtenir aussi en France pour Grasset les droits de publication d'Une place à prendre de J. K. Rowling.

Dans ce nouveau mouvement, la crise, avec les besoins de financement et d'investissements qu'elle fait naître, joue bien son rôle d'accélérateur. Mais les concentrations d'aujourd'hui tiennent sans doute plus encore aux impacts de la révolution numérique et à l'émergence dans la distribution du livre de puissants acteurs mondiaux venus de l'informatique et de l'électronique, tels Amazon, Google ou Apple vis-à-vis desquels l'édition peine encore à construire un rapport de force à son avantage. Symptomatiquement, John Makinson n'a pas caché, lors de l'annonce de la fusion, que celle-ci pourrait changer le destin des procédures qui continuent d'opposer Penguin au Department of Justice américain à propos de la régulation des prix du livre numérique via les contrats de mandat, alors que Random House est parvenu à échapper aux poursuites sans renoncer à dicter ses prix à Amazon et aux autres opérateurs.

NUMÉRIQUE ET GLOBALISATION

Dès lors, le rassemblement des forces de Penguin et de Random House apparaît moins comme un acte de résistance face aux resserrements des marchés traditionnels de l'édition et plus généralement à la crise, que comme une tentative de se projeter dans un avenir où le numérique et la globalisation feront bon ménage.

Non seulement il ne constitue pas un chant du cygne ou même un épiphénomène, mais on peut s'attendre à ce que le mouvement se poursuive. Si son actionnaire Lagardère, dont la stratégie reste pour le moins floue, lui donne le feu vert, Hachette Livre, qui avait déjà failli acquérir Simon & Schuster il y a trois ans, pourrait bien être tenté de se lancer à son tour dans la course. Le groupe français a l'avantage d'être, parmi les groupes généralistes, le plus diversifié linguistiquement avec de fortes positions sur les marchés anglophones, francophones et hispanophones. Avec plus de handicaps dont leur structure capitalistique et leur faible insertion sur les marchés étrangers, les grands groupes chinois en pleine consolidation sont aussi en embuscade. Tandis que les rassemblements au niveau des géants ont aussi leurs répercussions sur les marchés nationaux, comme on a pu l'observer en France avec l'acquisition de Flammarion par Gallimard.

Reste à savoir si ces grandes manoeuvres tendant à la constitution d'une édition largement mondialisée laisseront encore de la place à ce qu'il est désormais convenu d'appeler la bibliodiversité, ou si elles finiront par atteindre la vitalité de la création éditoriale. Un défi pour l'ensemble des acteurs du secteur aussi bien que pour les pouvoirs publics, confrontés eux aussi, par le biais des stratégies d'"optimisation fiscale" d'Amazon, Google et autres Apple, aux effets pervers de la mondialisation.

(1) Voir "Naissance d'un géant", dans LH 928, du 2.11.2012, p. 38.

"Des moyens pour investir"

Vincent Montagne- Photo OLIVIER DION

"Dans ces périodes de mutation de nos métiers, il est clair qu'il faut concentrer des moyens d'investissement et d'innovation", observe Vincent Montagne devant la fusion Penguin-Random House. Celle-ci porte la barre "à un niveau très élevé", mais "c'est la même logique qui a incité Antoine Gallimard à se rapprocher de Flammarion : la complémentarité est faible mais c'est plutôt l'addition qui a du sens aujourd'hui", estime le P-DG de Média-Participations et président du Syndicat national de l'édition, pour qui "même si la création éditoriale restera première, l'innovation sur les nouveaux supports nécessite des capitaux pour investir". "A son échelle, Média-Participations a beaucoup investi dans le numérique et l'audiovisuel, rappelle Vincent Montagne. Si j'avais écouté mon conseil d'administration, je ne l'aurais pas fait, et j'aurais sous-traité notre distribution. Or ce sont aujourd'hui des centres de profit. Nous avons besoin d'investir dans une stratégie multimédia et multisupport autour de nos thématiques éditoriales pour rassurer nos auteurs sur la diffusion et le développement de leurs oeuvres."

"Rester indépendants"

Françoise Nyssen- Photo M. MELKI/ACTES SUD

A la différence des grands groupes, relève Françoise Nyssen, "nous ne sommes pas guidés par la nécessité d'apporter des revenus à des actionnaires extérieurs au secteur, au risque de dévoyer les objectifs de l'entreprise, mais par nos propres découvertes : c'est une question d'éthique fondamentale". La présidente d'Actes Sud souligne que sa maison est "toujours soucieuse de rester indépendante, au service de la qualité éditoriale". Cette démarche se traduit "sémantiquement aussi". "Lorsque Gaïa, Textuel, l'Imprimerie nationale ou Hélium sont venus s'appuyer sur nous au travers de rachats complets ou partiels, cela ne s'est pas fait dans une logique de concentration, mais dans une logique de coopérative ou d'association, insiste Françoise Nyssen. Notre vision est celle d'"Actes Sud, éditeurs associés" plutôt que celle d'un groupe." Face aux concentrations, "dans toute société il y a la place pour des alternatives", plaide la présidente d'Actes Sud, qui "croit que des auteurs y sont sensibles". "Cela laisse des possibilités d'exister, poursuit-elle. Le but de la vie n'est pas seulement de gagner de l'argent."

"Un message sur l'avenir numérique"

Hervé de La Martinière- Photo OLIVIER DION

Pour expliquer leur fusion, Penguin et Random House "parlent très peu du papier mais font passer le message selon lequel le marché de l'avenir sera celui du numérique", note Hervé de La Martinière. Or, si ce dernier "prendra une part de marché non négligeable, il ne remplacera pas le papier, qui se tient bien aux Etats-Unis comme en France", estime le P-DG de La Martinière. Abrams, la filiale américaine du groupe, implantée dans le livre illustré, a enregistré une progression de chiffre d'affaires de 40 à 130 millions de dollars (31 à 102 millions d'euros) en quatre ans grâce au succès de la série jeunesse Wimpy Kid. "Je suis frappé de voir à quel point le numérique occupe les esprits, au point de susciter des concentrations de cette ampleur, alors que son marché n'est pas encore vraiment là", relève Hervé de La Martinière, qui "sent bien que l'ambiance est au regroupement des forces et à la réorganisation". "Evénement important", le rapprochement de Penguin et Random House "poursuit un mouvement de concentration que l'on connaît aussi en France, notamment dans la diffusion et la distribution".

"Ce sont les maisons d'édition moyennes qui m'inquiètent"

 

Spécialiste des industries culturelles, l'économiste Françoise Benhamou note une fragilisation du continuum qui s'étire des grands groupes aux plus petits éditeurs.

 

Françoise Benhamou.- Photo OLIVIER DION

L'hyperconcentration de l'édition était presque inscrite dans l'histoire", estime Françoise Benhamou. Interrogée par Livres Hebdo sur la signification de la fusion Penguin-Random House pour l'organisation du tissu éditorial, l'économiste, professeure des universités, membre de l'Arcep (Autorité de régulation des communications électroniques et des postes), et par ailleurs blogueuse sur notre site Livreshebdo.fr, voit dans ce mouvement la résultante "à la fois de la crise et de la mondialisation".

Livres Hebdo -Avec la fusion Penguin-Random House, l'édition est finalement rattrapée par la mondialisation ? Françoise Benhamou - Elle était longtemps restée à l'écart, mais elle s'y trouve désormais entraînée comme les autres secteurs économiques. Il se trouve que, d'une manière générale, la mondialisation accroît les différences au sein des sociétés et les réduit entre les sociétés. Rapportée à l'édition, cette théorie économique signifie que les acheteurs globaux ont plus de chance de se faire entendre dans tous les pays, ce qui pousse à la concentration autour de groupes qui peuvent porter leur production partout.

Qu'est-ce que cela change dans le paysage de l'édition ?

Je me demande si le phénomène de longue traîne que l'on observe dans la consommation avec, à côté des best-sellers, une longue série de petites ventes, n'est pas en train de se dupliquer au niveau des producteurs, avec des mastodontes mais aussi de nouveaux espaces pour de toutes petites structures. On assiste à une baisse des barrières et des coûts d'entrée dans l'édition, et même, grâce au numérique, dans la diffusion et la distribution, tandis que peuvent aussi se créer facilement des "pure players" numériques. Du coup, ce qui m'inquiète, c'est ce qui se passe pour les maisons moyennes, au milieu de cette espèce de longue traîne, entre les grands groupes et les petites structures. Il y a toujours un continuum, mais c'est aujourd'hui surtout aux deux extrémités qu'il se passe quelque chose, autour du numérique et des nouvelles pratiques d'un côté, au niveau des mastodontes de l'autre.

Comment les métiers de l'édition évoluent-ils dans ce contexte ?

Les métiers se trouvent évidemment transformés par la globalisation, qui donne plus de place aux grands groupes et plus d'importance aux ventes de droits. Les éditeurs sont aussi confrontés aux défis de l'investissement des réseaux sociaux et des communautés. Or, ces préoccupations sont aujourd'hui plus portées par les petites structures de la longue traîne, ainsi que par les géants qui disposent des moyens ad hoc, que par les éditeurs intermédiaires, qui s'appuient sur des techniques de promotion et de commercialisation encore très traditionnelles, surtout dans un pays comme la France où subsiste un réseau de librairies puissant. Les nouvelles voies de la prescription et de la promotion sont encore très peu explorées.


28.10 2014

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