21 août > Essai France

La presse, le marketing, la politique, les sciences sociales sont pleines de ces mots-valises qui ne transportent bien souvent que du vide : ville-monde, éco-responsabilité, ethno-marketing, fait religieux, justice environnementale, care, etc. Dans ce petit essai vif et impertinent, Eric Chauvier décortique le phénomène et interpelle ces sociologues qui décrivent "un modèle théorique avant de décrire la vie telle qu’elle apparaît". On n’est pas loin du déni de réalité.

Il prend ainsi l’exemple du concept d’habitus chez Pierre Bourdieu qui apporte certes des réponses à des questions, mais délaisse aussi quelque chose qui ne se laisse pas réduire. "Cette mécanique qui présente le monde social comme un modèle où se noue la domination exclut de facto toute forme d’étrangeté." Les concepts surplombants peinent à rendre visibles les expériences individuelles.

Pour cet enseignant à l’université Victor-Segalen Bordeaux-2 et à l’EHESS, la précision de l’œuvre sociologique devient alors un "trompe-l’œil". Il faut donc dissocier le concept des pratiques réelles. C’est pourquoi Bourdieu écrivit La misère du monde, pour retrouver les témoignages bruts et quitter la raison scolastique. Un autre grand intellectuel, Michel Foucault, avait lui aussi compris le problème posé par la confusion du mot et de la chose, mais "il ne fut conservé de son œuvre qu’une tendance à défendre des communautés minoritaires ou en souffrance".

Pour l’anthropologue Eric Chauvier, "les seules limites du monde sont celles du langage". Autant dire qu’il n’apprécie pas ces mots qui ne disent rien ou ces périphrases qui n’expliquent pas ce qui arrive. "Le care nourrit cette confusion constante entre les mots et les choses, ou pour le dire avec des termes empruntés à l’œuvre de Wittgenstein, entre une propension théorique à s’accorder dans le langage et une expérience concrète où le désaccord est tout à la fois possible, violent et riche de sens."

Le mot sans la chose, ce n’est en effet pas grand-chose ! A cause de la "dilution généralisée des science de l’homme dans la phase tardive du capitalisme" les laboratoires de recherche élaborent des mots calibrés qui ne rendent plus compte du monde tel qu’il est, mais tel qu’on voudrait qu’il soit. On comprend pourquoi Eric Chauvier a placé son livre sous l’égide de Wittgenstein qui considérait sagement qu’il fallait taire ce dont on ne pouvait parler. Sinon on risque fort de ressentir les premiers symptômes de la maladie du langage. L. L.

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