3 OCTOBRE - ROMAN France

Martin Winckler- Photo HÉLÈNE BOMBERGER/

Ce sont des histoires de mort mais, parce que c'est Martin Winckler qui les écrit, ce sont surtout des histoires de vie. De fin de vie. Mais de vie, à la fin. Pas de surprise, le narrateur de son dernier roman est une nouvelle fois un médecin. Atteint d'un cancer, il a fait venir chez lui un inconnu qui va l'accompagner dans ses derniers moments. "J'ai beaucoup de choses à vous raconter", l'a-t-il prévenu. L'homme entame donc le récit dans un ordre parfois un peu aléatoire. Il dit ses débuts de jeune médecin incapable de voir les malades souffrir, son choix de fils d'aider son père à mourir, son travail à "l'Unité de la douleur"... Puis il raconte l'appel, le premier, d'un ami, André, médecin lui aussi, condamné par la maladie, qui lui demande de l'assister pour partir et, avant, de prendre en note, pour lui qui n'a plus la force de le faire, les dernières pages d'un carnet secret. "En souvenir d'André" deviendra par la suite le mot de passe de tous ceux qui choisiront le médecin-passeur pour les aider à mettre fin à leurs jours.

En toile de fond discrète se déroulent trente ans d'affrontements idéologiques autour de la mort volontaire. Au début, on est dans un pays d'Europe (la France ?) où le suicide assisté est régi par un contrat clandestin, hors la loi, et expose le corps médical complice aux poursuites. Puis la loi évolue. Sous la plume du docteur Winckler, le débat sociétal, toujours d'actualité, la cause éthique, civique, s'incarne. Son talent, l'efficace dramaturgie de ses fictions, est de mettre les grands principes, tel le fameux droit de mourir dans la dignité, à l'épreuve de l'expérience pratique, concrète. Alternativement, du côté de celui qui veut mourir et du point de vue de celui qui assiste. De faire voir une morale en acte dans sa simplicité presque triviale, sa complexité aussi. Winckler ne développe pas de théories générales. A des formulations souvent pleines d'euphémismes et d'hypocrisie, il oppose des visages, des prénoms, des vies. Il nous attache ainsi à ces mourants "las d'être là" - la femme qui voulait rentrer chez elle et dormir, "l'homme au coeur brisé", Louise que le narrateur visite tous les mardis soir pendant plusieurs semaines et qui commente les photos des albums de famille, Richard le trop "pressé" - et à ces vivants qui affrontent quotidiennement leur conscience...

Après les "veillées", l'assistant - qui deviendra à son tour l'assisté - retranscrit. Accumule les histoires. Dans la sacoche de cet adepte de la "médecine aux mains nues", il y a "ce qu'il faut" et, avec le temps, plus que "le strict nécessaire". Soulager la douleur physique et l'angoisse qui s'auto-alimentent, écouter, se taire. Recueillir puis écrire les ultimes récits livrés, être là pour recevoir ces paroles qui se révèlent être des antalgiques et des antidépresseurs aussi apaisants que des médicaments. C'est ainsi qu'il bricole au jour le jour une sorte de protocole compassionnel laïque fait de présence et d'écoute silencieuses, plus que de chimie : "Tu verras, ça se passera bien", lui avait assuré André.

En souvenir d'André, Martin Winckler, P.O.L, tirage : 30 00 ex. 16 euros, 208 pages, ISBN : 978-2-8180-1692-3. Sortie : 3 octobre.

23.10 2014

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