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Les pratiques de lecture des jeunes passées au crible

Richard Volante-Archi C. de Port

Les pratiques de lecture des jeunes passées au crible

Une étude du CNL, réalisée par Ipsos, décrypte les pratiques de lecture des jeunes de 7 à 25 ans. S’ils sont encore nombreux à lire et aimer lire, ils décrochent fortement à partir de l’entrée au collège, se tournant plus volontiers vers les écrans. La lecture numérique ou audio progresse, tout comme l’influence d’Internet et des réseaux sociaux. La BD et le manga ont le vent en poupe, au détriment du roman.

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Par Charles Knappek,
Créé le 23.03.2022 à 12h00

Que lisent les jeunes de 7 à 25 ans, à quel rythme et que représente le livre dans leur foyer ? Dans une étude confiée à Ipsos, le Centre national du livre (CNL) dresse un premier constat encourageant : la lecture demeure une pratique largement répandue et appréciée chez les jeunes, qui ne sont que 16 % à déclarer ne pas aimer ou détester lire.

Mais l’étude témoigne aussi d’une réalité implacable pour le livre, qui a depuis longtemps perdu la bataille du temps de cerveau disponible : un jeune passe moins de temps à lire dans une semaine complète qu’il n’en passe en une seule journée devant les écrans. Qui plus est, son temps de lecture est parasité par d’autres activités : 47 % lisent en faisant souvent autre chose en même temps sur un écran (envoyer des messages, aller sur les réseaux sociaux ou regarder des vidéos).

Globalement, l’étude confirme des tendances déjà observées lors de précédentes enquêtes. Si la quasi-totalité des jeunes sont lecteurs, la pratique recule avec l’âge : les plus de 20 ans lisent nettement moins que les 7-19 ans, chez qui la lecture "école/travail" reste élevée (malgré un recul de trois points par rapport à 2016) et la lecture "loisirs" progresse de cinq points vs 2016.

C’est à partir de 15 ans que la lecture "école/travail" chute drastiquement, aussi bien chez les filles que les garçons. Si les élèves de primaire déclarent avoir lu 2,5 livres en moyenne au cours des trois derniers mois, les étudiants n’en revendiquent plus qu’1,6 sur la même période.

Côté lecture "loisir", les élèves de primaire déclarent avoir lu 8,4 livres lors des trois derniers mois, contre seulement 4,5 pour les étudiants. Le déclin de la lecture « loisir », réel à partir de l’entrée au collège, est en revanche moins marqué chez les filles que chez les garçons. 93 % des filles de 10-12 ans sont lectrices, contre 81 % à 13-15 ans. Chez les garçons, le ratio passe de 89 à 68 %.

3h14 de lecture par semaine 

Le rituel de la lecture au moment de se coucher reste bien ancré avec 78 % de lecteurs loisir (88 % en primaire). Chez les étudiants, les moments de pause et de transports représentent aussi des temps privilégiés de lecture.

Le domicile s’impose de très loin comme le premier lieu de lecture : 90 % des lecteurs déclarent lire chez eux. Ils sont aussi 70 % à lire en dehors du domicile (32 % dans les transports, 32 % en bibliothèque et 31 % à l’école ou au travail).

S’agissant des fréquences de lecture, plus de quatre lecteurs sur cinq lisent au moins une fois par semaine, mais ils sont moins d’un tiers (31 %) à lire tous les jours ou presque. Sans surprise, les filles (35 %) et les élèves de primaire (53 %) figurent parmi les lecteurs les plus assidus. A l’opposé, seuls 18 % des étudiants et 27 % des garçons lisent plusieurs fois par semaine.

En moyenne, les jeunes lisent 3h14 par semaine. C’est 13 minutes de plus qu’en 2016 pour les 7-19 ans. Les filles, les lycéens et les étudiants sont ceux qui consacrent le plus de temps à la lecture, contrairement aux garçons et aux jeunes issus de foyers moins favorisés qui sont situés sous la barre des trois heures par semaine. A titre de comparaison, les jeunes passent en moyenne 3h50 par jour devant un écran, dont 2h50 sur Internet, avec de fortes disparités selon l’âge (1h35 en primaire contre 5h34 pour les étudiants).

Autre illustration de la concurrence implacable des écrans, la crise sanitaire apparaît comme un rendez-vous manqué pour l’essor de la lecture. Si 38 % des jeunes déclarent avoir augmenté leur temps de lecture pendant les confinements, le contexte de la pandémie a nettement plus profité aux écrans pour regarder des séries, utiliser son smartphone ou jouer aux jeux vidéo.

Des pratiques numériques en croissance

Mais les écrans peuvent aussi servir de porte d’entrée à la lecture. 40 % des jeunes ont déjà lu un livre numérique (33 % des 7-19 ans et 58 % des 20-25 ans). La pratique est en forte progression chez les moins de vingt ans (+14 points vs 2016). Au global, les jeunes lisent d’abord sur smartphone (55 % des lecteurs numériques), devant l’ordinateur portable (34 %), la tablette tactile (33 %, mais 50 % en primaire) et la liseuse (19 %). Le soir avant de se coucher apparaît comme le moment le plus propice à la lecture numérique.

S’agissant de la lecture audio, 59 % des jeunes ont déjà écouté un livre audio (y compris une boîte à histoires ou un podcast). Le livre audio enregistre une forte progression chez les 7-19 ans (+ 18 points vs 2016) et est particulièrement apprécié des élèves de primaire (55 % en ont déjà écouté).

Déjà sensible dans les classements des meilleures ventes, l’engouement pour la BD et le manga se vérifie, au détriment du roman qui perd la première place qu’il occupait en 2016. En matière de genre littéraire, la BD devance désormais le roman chez les 7-19 ans. Sur cette tranche d’âge, plus d’un lecteur sur deux lit de la BD, et même plus de trois lecteurs sur quatre en ajoutant les mangas et les comics. C’est particulièrement vrai pour les garçons, les élèves de primaire et les collégiens alors que le roman reste le genre dominant chez les filles et les lycéens.

De la même manière, le roman conserve sa première place chez les 20-25 ans, qui sont 58 % à déclarer en lire, contre 30 % pour le manga et 25 % pour la BD. Dans cette catégorie d’âge, ce sont les filles qui impriment la tendance : elles sont 71 % à livre du roman, contre 39 % pour les garçons.

Au sein des romans, la SF et l’imaginaire sont plébiscités (50 % des lecteurs de 7-19 ans en lisent), devant l’aventure (48 %) et les romans policiers et d’espionnage (31 %). Les élèves de primaire sont la seule catégorie chez qui le roman d’aventure domine (57 %), devant les livres humoristiques (46 %) et la SF/imaginaire (43 %).

Concernant le mode de procuration et la prescription, les jeunes lisent en suivant les conseils de leurs amis (34 %), en choisissant tout seul (32 %) ou en suivant les recommandations de leur mère (31 %). Il est à noter que les pères ne sont prescripteurs que pour 16 % des jeunes lecteurs. Sans surprise, la prescription familiale, notamment celle des parents, baisse sensiblement avec l’âge, tandis que les recommandations de lecture via Internet (influenceurs, réseaux sociaux…) progresse chez les plus âgés, pour atteindre 19 % chez les étudiants.

Très classiquement, le résumé de l’histoire, la recommandation, la couverture du livre ou encore le fait de connaître et apprécier le héros de l’histoire sont les principaux déclencheurs de choix d’un livre. Et si 29 % des jeunes choisissent un livre après en avoir entendu parler sur Internet, le poids des booktubeurs (8 %) reste faible, même si la marge de progression des réseaux sociaux est importante : 69 % des 7-25 ans déclarent qu’ils pourraient utiliser YouTube pour s’informer sur les livres ; ils sont 52 % pour Instagram et 46 % pour TikTok.

Les films et les séries peuvent aussi être un déclic : 58 % des lecteurs loisirs de 7-25 ans choisissent un livre après avoir vu un film ou une série sur une plateforme. Le taux monte à 68 % pour les 20-25 ans. Au sein de la famille, 86 % des jeunes déclarent que leurs parents leur lisaient des livres quand ils étaient petits, la mère plus souvent que le père (84 % contre 64 %). Plébiscitée par les jeunes qui sont 96 % à déclarer l’adorer ou l’aimer, la lecture à voix haute chute fortement après l’entrée au collège. Il est aussi à noter que plus d’un jeune sur deux affirme qu’au moins un de ses parents lui demande de lire des livres.

Enfin s’agissant des dispositifs de promotion de la lecture, plus d’un écolier, collégien ou lycéen sur deux déclare connaître le principe du « quart d’heure lecture ». Ils sont plus de 40 % à y participer en primaire ou au collège.

Si 87 % des lycéens et 95 % des étudiants ont entendu parler du pass Culture, ils ne sont que 73 % et 69 % à en avoir bénéficié, et seulement 36 % et 51 % à l’avoir utilisé. Malgré ce taux d’usage relativement faible, les jeunes qui ont utilisé le pass Culture ont majoritairement acheté des livres.

"Partir en livre" reste globalement peu connu. Seuls 18 % des jeunes en ont entendu parler et 6 % y ont participé. En revanche le dispositif est très apprécié de ceux qui en ont bénéficié et a donné envie d’acheter des livres à 79 % d’entre eux.


Méthodologie : l’étude Ipsos pour le CNL a été menée entre le 27 janvier et le 6 février auprès d’un échantillon représentatif de 1 500 jeunes âgés de 7 à 25 ans au moyen d’interviews en ligne d’une durée moyenne de 20 minutes. Un enquêteur virtuel se présentant sous la forme d’un personnage animé a accompagné les enfants de 7 à 11 ans tout au long du questionnaire. L’enquête fait suite à deux études similaires respectivement menées en 2016 et 2018 auprès des 7-19 ans et des 15-25 ans. Son objectif : mesurer les perceptions et les pratiques actuelles des jeunes Français en termes de lecture ; comprendre leurs motivations et leurs freins à lire des livres ; identifier les leviers qui amènent les jeunes à la lecture ou ceux qui les amèneraient à renouer un lien avec la lecture.

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