22 janvier > Roman Portugal

Pour Rui, 15 ans, né en Angola de colons blancs venus du nord du Portugal pour échapper à la pauvreté, la métropole, c’est des cerises accrochées aux oreilles de jolies filles sur des photos. A l’été 1975, un peu plus d’un an après la «révolution des œillets » qui a mis fin à plus de quarante ans de dictature et quatorze ans après le début de la guerre de décolonisation, ce jeune garçon, narrateur de l’histoire, est sur le point de quitter avec sa famille, chassée par la guerre civile, le seul pays que l’adolescent et sa sœur aient jamais connu. «Notre Angola à nous, c’est fini.» Beaucoup, voisins, copains, sont déjà partis. La famille de Rui profite du pont aérien mis en place pour rapatrier les ressortissants portugais vers la métropole et abandonne tout derrière elle. Le père qui avait monté une société de transport menace de tout brûler avant de partir quand l’oncle Zé, qui «veut aider les nègres à fonder une nation», a, lui, choisi de rester. Mais quelques heures avant le départ, sous les yeux de son fils, le père, accusé d’être «le boucher de Grafanil» est arrêté par des soldats. Et c’est sans lui que Rui, sa mère, malade des nerfs, et sa sœur fuient l’Angola.

«Alors finalement la métropole, c’est ça» : une métropole «étriquée et sale», une chambre pour trois donnant sur la mer dans un hôtel cinq étoiles d’Estoril, une station balnéaire touristique à côté de Lisbonne, l’un des lieux réquisitionnés pour accueillir ces rapatriés des colonies sans famille pour les héberger. Des files d’attente de plusieurs heures avant de pouvoir accéder au restaurant. «C’est une période agitée», répète la directrice de l’hôtel pour toute explication, laissant l’adolescent seul face à l’absence du père, à de nouvelles responsabilités, face aussi à la déception et à la nostalgie du pays perdu, face au mépris et au rejet dont font l’objet ces «rapatriés de nulle part» qui n’ont jamais mis les pieds au Portugal et sont traités comme des citoyens de seconde zone. «Fouler le sol de la métropole, c’est comme si on était en train de pénétrer dans la carte qui était accrochée dans notre classe.» Tout cela a lieu au milieu des années 1970 dans un pays d’Europe qui voit «rentrer» précipitamment un demi-million de personnes. Mais il n’est pas difficile de trouver des transpositions dans ce passionnant roman de passage où la transition brutale entre l’enfance et l’âge adulte coïncide avec le passage de la révolution à la démocratie, avec la fin de l’empire.

«De toute façon ceux d’ici nous aiment pas », constate Rui avec sa manière de tronquer systématiquement toutes les négations. Sa façon à la fois naïve, clairvoyante, partielle, entre peur rentrée et colère impuissante qui irrigue la langue imagée de Dulce Maria Cardoso, rendue par Dominique Nédellec, reconnu désormais comme l’un des meilleurs traducteurs du portugais. Inspiré de la propre histoire de l’écrivaine qui a passé les onze premières années de sa vie en Angola, ce douloureux Retour, accueilli dans «La cosmopolite», est le troisième roman traduit en français après Cœurs arrachés (Phébus, 2005) et Les anges, Violeta (L’Esprit des péninsules, 2006). Il a été désigné «livre de l’année 2011» au Portugal.

Véronique Rossignol

 

17.01 2014

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