Après Moo Pak (2011), Tout passe (2012) et Goldberg : variations (2014), Quidam éditeur poursuit sa mise en lumière de l’œuvre de l’écrivain anglais né en Egypte Gabriel Josipovici.
Infini : l’histoire d’un moment reprend une forme - le dialogue - qu’affectionne ce fin lettré polyglotte dont les fictions témoignent de l’originalité de sa pensée ferme et saillante. Ici, le roman présente un double enchâssement : un homme au statut inconnu pose des questions à un autre, qui lui-même rapporte des propos recueillis auprès d’un troisième. Ce dispositif construit la biographie de Tancredo Pavone, un compositeur aristocrate d’origine sicilienne, telle que la reconstitue Massimo, le valet de chambre qui fut à son service dans l’appartement de Rome où le musicien a passé la dernière moitié de sa vie. Loyal et zélé, le majordome chargé de l’entretien des chaussures et des vêtements, chauffeur de nombreuses virées en voiture sur les routes de Campanie, se souvient précisément des monologues de ce "gentleman singulier", personnalité anticonformiste un peu monstrueuse, solitaire obsédé par la propreté, l’ordre et la musique. Le serviteur relaie le récit de l’enfance du maître, son adolescence dorée à Monte-Carlo, ses 20 ans dans les années 1920 à Londres, à Vienne où il suit des cours chez un disciple de Schoenberg, en Suisse pendant la guerre… Puis, en 1949, le séjour décisif de cinq mois en Inde et au Népal où il s’ouvre à la dimension spirituelle de la musique.
Comme dans Contre-jour : triptyque d’après Pierre Bonnard paru en 1989 chez Gallimard, le musicien est un personnage composite d’artiste qui s’inspire librement de la figure du compositeur italien Giacinto Scelsi (1905-1988). Sous les traits maquillés d’un artiste hors normes, Josipovici offre une réflexion érudite, radicale et passionnante sur la haute fonction d’un musicien, plus largement sur le rôle d’un créateur. Son noble personnage le dit : "Tous les artistes sont des cannibales."Véronique Rossignol