Si la France tient jusqu’au 1er janvier 2016 pour repasser la TVA numérique au taux normal, l’arrêt de la Cour de justice de l’UE n’aura pas de conséquence économique cette année sur un marché que GFK évalue pour 2015 à 90 millions d’euros (+ 40 %). Ensuite, son effet dépendra de la décision des éditeurs. S’ils répercutent intégralement la hausse de la TVA sur le prix, ils risquent de casser un marché balbutiant, alors que les lecteurs jugent les tarifs des livres numériques toujours trop élevés. S’ils ne changent rien, ils supporteront avec les libraires et les auteurs une réduction de marge de 14,5 points. Pour la Commission, ce serait la preuve que l’économie du livre numérique est parfaitement compatible avec une TVA à taux normal. Le plus probable est qu’ils coupent la poire en deux.
"Nous sommes plutôt sur ce moyen terme, avec une légère hausse de prix, de l’ordre de 6 à 7 %, même si rien n’est sûr pour le moment", envisage Patrick Gambache, responsable du développement numérique du groupe La Martinière. "Ce n’est pas aussi simple", nuance Claude de Saint Vincent, "car les éditeurs n’ont plus qu’une liberté relative sur leurs prix, étroitement encadrée par la grille imposée par Apple, que tout le monde a acceptée. Depuis le 1er janvier, tous les prix des livres numériques doivent se terminer en 99 centimes d’euro ; le palier intermédiaire à 49 centimes a été supprimé, et Apple a poussé vers la tranche supérieure tous les prix des éditeurs qui n’avaient pas répondu à l’annonce les prévenant de ce projet. Le choix sera en fait d’augmenter ou pas nos livres d’un euro", explique le directeur général du groupe Média-Participations. Et avec la loi sur le prix du livre numérique, ce prix s’imposera à tous les revendeurs. Chez Amazon, ePagine, Google, Kobo-Fnac, etc., tous les prix des ebooks français se terminent déjà en 99 centimes d’euro, sans aucune variante intermédiaire. Pour les livres valant 6 euros ou moins, une hausse de 1 euro sera supérieure en pourcentage à l’impact de la TVA. "Le dosage se fera en fonction des collections, de la demande entre fonds et nouveautés, etc.", prévoit Claude de Saint Vincent. La hausse moyenne serait toujours de 6 % à 7 %, mais inégalement répartie.
Des acheteurs qui ont les moyens
Pour Xavier Cazin, fondateur d’Immatériel, une hausse des prix "ne serait de toute façon pas catastrophique, à condition d’avoir un service qui justifie les tarifs, notamment en n’imposant pas de DRM. D’autre part, le marché est encore très petit, et avec des acheteurs qui ont les moyens", estime le patron du diffuseur-distributeur de livres numériques (45 000 titres, 600 éditeurs). Matthieu de Montchalin, président du SLF, estime en revanche que ce n’est pas une bonne nouvelle. "Au prétexte que les libraires ne sont pas dans ce marché, ce serait un raisonnement à très courte vue de se satisfaire d’une hausse des prix numériques qui casserait la croissance. Je suis persuadé que le numérique se développera en France, et le SLF doit faire en sorte que les libraires qui le souhaitent puissent répondre à cette demande." Pour une fois, ce serait une cause commune avec Amazon, qui subira l’effet TVA à la hauteur de sa part de marché. Et pour les éditeurs, le sujet est tout aussi sensible : quoique encore marginales, les ventes numériques sont les seules à afficher une forte croissance dans un marché atone.
L’exemple britannique sera intéressant à suivre : Amazon a pu y casser les prix en profitant d’une réglementation sans contrainte et bénéficiant jusqu’au 31 décembre dernier d’une TVA à 3 % depuis le Luxembourg. Il doit maintenant appliquer les 20 % en vigueur au Royaume-Uni.