Le 5 juin dernier, lorsque Grégoire Delacourt et son éditeur Lattès ont reçu la lettre de l’avocat de Scarlett Johansson, ils ont été pour le moins surpris. « Ce ne sont pas vraiment les nouvelles que j’attendais de l’actrice ! » déplore Karina Hocine, l’éditrice du roman. En effet, ils s’étaient déjà pris à rêver d’une adaptation au cinéma de La première chose qu’on regarde avec Scarlett Johansson dans le rôle de son sosie, Jeanine Foucamprez. L’héroïne de Lost in translation a peu goûté les soixante premières pages du roman où le héros, adepte des poitrines généreuses, découvre la star sur le pas de sa porte. « C’est quoi ce pervers louche ? s’emporte-t-elle dans le Vanity Fair français. Un dingue misogyne ? J’y crois pas. On dirait la version française de Fifty shades of Grey… » Elle a chargé un avocat français, Me Vincent Toledano, de poursuivre Lattès pour « l’exploitation frauduleuse et illicite de son nom, de sa notoriété et de son image au mépris de ses droits de la personnalité pour les besoins de la commercialisation et de la promotion d’un ouvrage ».
Ce roman de l’auteur du best-seller La liste de mes envies a déjà été vendu dans de nombreux pays dont les Etats-Unis. Les parutions ne sont pas prévues avant six à douze mois, mais les partenaires étrangers, inquiets, ont tous contacté Lattès. La négociation des droits cinématographiques a aussi été interrompue. « Nous avons tout paralysé », précise Karina Hocine.
McEnroe.
Echaudée par l’affaire, l’éditrice vient de changer au dernier moment le titre d’un des romans de la rentrée, celui d’Arnaud Friedmann, qui s’appelait Le fils de John McEnroe. Il a été rebaptisé Le tennis est un sport romantique. « J’ai rendu en juin le manuscrit et je suis parti en vacances, raconte l’auteur. C’est alors que mon éditrice m’a appelé et qu’en quelques jours, par téléphone, nous avons dû trouver en panique un nouveau titre. » Sur le thème de la filiation et de la fidélité aux rêves d’enfant, le livre raconte l’histoire d’un garçon, né de père inconnu. Alors qu’il regarde la finale de Roland-Garros en 1984, sa mère affirme que son géniteur est John McEnroe, et il grandit dans ce fantasme (1). « C’est un renoncement contextuel qui me désole, explique l’éditrice. Je détesterais l’idée que l’inspiration romanesque soit désormais contrôlée par la menace de lettres d’avocats. »
Surtout qu’avec la production romanesque actuelle, Hollywood et la Croisette peuvent s’en prendre à la moitié des éditeurs de Paris ! En effet, après la vague de l’autofiction, où l’auteur se nourrit de sa vie et de celle de ses proches, anonymes pour la plupart, on assiste depuis le début des années 2000 à la multiplication des romans d’inspiration biographiques, comme le prix Goncourt 2007, Alabama song de Gilles Leroy, sur Zelda Fitzgerald.
Dans cette même veine, les personnalités publiques deviennent des personnages de roman et le name dropping va bon train. Dans La carte et le territoire, Michel Houellebecq fait du présentateur du 13 heures de TF1, Jean-Pierre Pernaut, un intellectuel gay, collectionneur d’art contemporain.
Voyant passer de plus en plus de fictions en relecture avant publication, l’avocat Emmanuel Pierrat note que « ce phénomène correspond à la“breateastonellisation? de la littérature française », en référence au romancier américain qui fut l’un des premiers à user de la citation de noms connus et de marques. Si l’on considère la production depuis cinq ans, plus d’une vingtaine de romans citent une star dans leur titre (voir p. 14), de Johnny Depp à George Clooney en passant par Mick Jagger, Lady Gaga ou Michael Jackson.
La personnalité ne se retrouve pas forcément dans l’intrigue mais apparaît comme icône, renvoyant à la mythologie collective. Et le roman se fait l’écho de la réalité, reprenant les starlettes du moment, phénomène de société. Il ne serait pas surprenant de retrouver l’égérie de la téléréalité Nabila - « Allô, quoi ? » - dans une fiction, tout comme en son temps Loana dans Marie-Claire à double tour de Pierre Tartakowski (Eden), l’histoire d’une adolescente à la dérive qui se confie à sa sœur idéale, la vedette du « Loft ».
Les arguments de Voici et Closer
Ces stars, qui deviennent des marques, ne se laissent cependant pas faire quant à l’utilisation de leur image. Thomas Lélu avait écrit Je m’appelle Jeanne Mass (Léo Scheer, 2005), l’histoire hallucinée d’un videur qui avait peu de choses à voir avec la chanteuse bicolore. Il s’est fait attaquer pour « utilisation d’un nom à des fins commerciales ». Scarlett Johansson, qui affirme défendre en tant qu’artiste la liberté d’expression, fait savoir par le biais de son avocat que « de tels procédés à des fins purement mercantiles sont sans lien avec la création ». Auteurs et éditeurs se font donc attaquer comme s’ils publiaient une photo volée, et se retrouvent à prendre les arguments traditionnels des Voici et Closer. « Quand on s’expose publiquement, on prend le risque que l’on parle de votre vie », plaide Karina Hocine qui n’avait pas envisagé de faire relire par l’avocat de la maison le roman de Grégoire Delacourt.
Aux Etats-Unis, la fiction passe par les services juridiques au même titre que la non-fiction. Chez Gallimard, Jean-Marie Laclavetine se souvient d’avoir reçu Alain Delon est une star au Japon d’un auteur maison, Benjamin Berton. « L’acteur ayant menacé d’attaquer, le service juridique a pris au sérieux ce risque de procès et nous avons refusé le texte », regrette l’éditeur. C’est le seul roman de l’auteur à avoir été publié ailleurs, chez Hachette Littératures en l’occurrence.
L’accroche marketing, qui fait que le lecteur sera tenté de prendre le livre en main, est un art subtil et nécessaire. C’est d’ailleurs souvent l’éditeur et non l’auteur qui trouve le titre. Pour Christophe Lucquin, qui dans sa maison, LC éditions, a créé la collection « Fantasmes », qui regroupe des ouvrages portant des noms de personnalités en titre comme Comment j’ai couché avec Roger Federer ? de Philippe Roi, « le procédé est utile pour un petit éditeur comme moi qui n’a pas de visibilité. Les lecteurs sont curieux de ce genre d’ouvrages, ça peut rappeler cette presse people dont les gens sont friands ».
En librairie, les professionnels sont mitigés. « Il y a plutôt une défiance de mes clients si un auteur fait appel à une célébrité dans le titre, explique Caroline Bertelot de La Femme renard à Montauban. C’est comme du racolage. Personnellement je me méfie de ce genre d’accroche. » Cependant, elle se souvient de Comment j’ai piqué la petite amie alien de Johnny Depp signé Gary Ghislain (La Martinière) et remarque que, « dans ce cas, le procédé peut attirer vers la lecture des adolescentes ! ». Surtout que souvent, ces titres en clin d’œil à la culture populaire annoncent un texte à la tonalité joyeuse. L’humour sous-jacent permet aussi de parler plus légèrement de sujets parfois graves, l’intégrisme religieux et l’islamophobie, par exemple dans J’ai épousé Johnny à Notre-Dame-de-Sion de Fariba Hachtroudi (voir ci-contre).
Dérision ou opportunisme.
« On aime ce côté décalé, le titre qui fait mouche et qui fait vendre, explique Morgane Merle Bargoin de la librairie Il était une fois, à Billom. Si ça reste un bon roman, ça désacralise la littérature et les célébrités. » Elle fait cependant bien la différence. « Il y a deux démarches distinctes : ceux qui utilisent la dérision et ceux qui veulent attirer le lecteur par opportunisme. Ce procédé peut être à double tranchant ! »
Car, bien utilisé, un nom propre renvoie en deux mots à tout un univers. Cyril Montana qui a signé La faute à Mick Jagger, qui ne parle pas du tout du chanteur des Rolling Stones, explique que dès la couverture, « le lecteur voit la fameuse langue tirée et se trouve projeté dans les années 1970 ». C’est aussi parce que, avec un nom, le sens du roman de Dominique Resch était résumé qu’Emmanuelle Vial l’a titré C’est qui Catherine Deneuve ?. « Ce nom propre renvoyait immédiatement à l’univers du glamour patrimonial, explique la responsable d’Autrement. Catherine Deneuve, c’est comme la baguette et le camembert, une image de la France. Que son nom ne parle pas aux élèves montre bien le hiatus qu’il y a entre leur monde et celui des professeurs. » Un titre « raconte déjà le livre, doit faire ressentir au lecteur possible, dans la librairie, la tonalité de la narration », explique Jean-Marie Laclavetine, qui a intitulé le prochain roman de Jean Hazfeld, à paraître chez Gallimard le 22 août, Robert Mitchum ne revient pas, en référence au chien d’un des protagonistes qui porte le nom de l’acteur. « Ce patronyme donnait quelque chose d’énigmatique et de chaleureux au livre, car la figure de Mitchum est évocatrice, à la fois cabossée et très humaine. » Et en ces temps moroses, une dose de légèreté, de paillettes et de glamour ne peut pas faire de mal.
A.-L. W. avec M. Q.
(1) Voir l’avant-critique dans LH 958, du 14.6.2013, p. 49.
Jean Rolin : « J’aurais pu prendre Kim Kardashian, mais elle m’est antipathique »
Livres Hebdo - Vous avez publié en 2011 chez P.O.L Le ravissement de Britney Spears. Comment vous est venue l’idée de faire de celle-ci une héroïne romanesque ?
Jean Rolin - J’avais envie de raconter quelque chose sur un milieu qui m’était totalement étranger, sur l’univers d’une starlette. Je voulais faire un texte sur les types de stars qui remplissent les sites Web spécialisés. Plus c’était vide, plus ça m’intéressait. Britney Spears est d’abord le fil conducteur de mon récit, pour décrire Los Angeles. J’aurais pu prendre Kim Kardashian, mais elle m’est antipathique. Je me suis aussi intéressé à Lindsay Lohan : le narrateur finit d’ailleurs par se détourner de Britney Spears pour s’intéresser à cette autre starlette.
Selon vous, est-ce que ce procédé peut créer des malentendus pour les lecteurs ?
Il y a eu une couverture du magazine féminin Be qui a titré « Britney héroïne de la rentrée littéraire », avec comme sous-titre : « 75 % de nos lectrices disent qu’elles vont acheter le livre de Jean Rolin ». Mais les gens n’achètent pas des livres comme ça ! Je n’avais aucune intention commerciale en choisissant ce titre. J’ai trouvé drôle de reproduire la musique du titre célèbre de Duras, Le ravissement de Lol V. Stein.
Scarlett Johansson a attaqué Grégoire Delacourt pour l’avoir mise en scène dans son roman La première chose qu’on regarde. Est-ce que vous craignez que Britney Spears vous intente un procès ?
Il a bien de la chance. J’imagine qu’il est content, ça va lui assurer une notoriété. Personnellement, j’ai veillé dans ce livre à ne rien dire de malveillant sur Britney Spears. De toute façon, je n’ai pas appris grand-chose sur elle qui ne soit pas dans le domaine public, et j’ai veillé à ne pas révéler des choses qui ne l’étaient pas. Si mon livre avait eu le même succès que Limonov d’Emmanuel Carrère sorti en même temps, s’il s’était vendu à 400 000 exemplaires, s’il avait été traduit en américain, les avocats se seraient peut-être posé des questions.
< Propos recueillis par M. Q.
Le nouveau livre de Jean Rolin, Ormuz, paraît le 22 août chez P.O.L.
Fariba Hachtroudi : « Aidez-moi à contacter Johnny pour qu’il rencontre son unique épouse iranienne »
Livres Hebdo - Pourquoi avoir choisi de faire de Johnny Hallyday l’un des pivots de votre roman J’ai épousé Johnny à Notre-Dame-de-Sion qui vient de paraître en poche chez Points ?
Fariba Hachtroudi - C’est un hommage car j’adore sa voix. Pour moi, il y a Mick Jagger et Johnny : c’est un monument vivant. De plus, je voulais faire un clin d’œil à ma cousine, en Iran, qui a inspiré l’héroïne Golrokh. Elle était folle amoureuse de « Djouni », comme elle l’appelait, et elle a en partie appris le français avec ses chansons. Elle a aujourd’hui 63 ans et quand j’ai fini le livre, je l’ai appelée pour la prévenir que j’avais réalisé son rêve en la mariant à son idole. L’exil fait que la nostalgie de l’adolescence est particulièrement présente. De plus, Johnny est un symbole fort dans l’imaginaire collectif puisque, en même temps que mon livre, sortait au cinéma le film Jean-Philippe avec Fabrice Luchini.
Par rapport à vos autres écrits, avez-vous l’impression d’avoir touché un public différent avec cette référence à la culture populaire dans votre titre ?
Mes lecteurs traditionnels ont été un peu déboussolés et méfiants en voyant le titre. Mais au final, ils étaient plutôt satisfaits. Et dans les salons, j’ai parlé avec des personnes que je n’aurais jamais vues avant, qui rachetaient le livre pour des amis. J’ai atteint un autre public. Iran, les rives du sang était un texte grave, triste. Dans mon écriture, le fait de parler de Johnny m’a libérée. J’ai épousé Johnny a été un exercice de style et m’a prouvé que l’on pouvait faire passer des choses assez lourdes sur l’Iran, par la légèreté et l’humour.
Avez-vous eu des retours de la part de Johnny Hallyday ou de son entourage suite à la publication de votre roman ?
Malheureusement non, et ce n’est pas faute d’avoir essayé plusieurs fois de lui faire parvenir un livre via ses proches. Je profite de cette tribune pour lancer un appel. Aidez-moi à contacter Johnny pour qu’il puisse rencontrer son « unique épouse iranienne » !
Propos recueillis par A.-L. W.