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Les ventes de fêtes : 2012, chassons le blues

La librairie Comme un roman, à Paris, où François Hollande a fait savoir que, s'il était élu, il ramènerait la TVA sur le livre à 5,5 %. - Photo LAURENT SAZY

Les ventes de fêtes : 2012, chassons le blues

Le boom des ventes de fin d'année est venu rassurer le monde du livre, qui n'en menait pas large au terme d'un automne sinistré. Ce sursaut et la mise en place des nouvelles conditions commerciales des diffuseurs donnent à 2012 des couleurs moins noires.

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Par Clarisse Normand, Hervé Hugueny
Créé le 05.03.2015 à 19h34 ,
Mis à jour le 19.03.2015 à 15h51

Les libraires reprennent leur souffle. Plutôt positive, la fin de l'année 2011 leur permet d'aborder 2012 un peu plus sereinement, même si les nuages sont toujours là. Tout au long de 2011, leurs combats leur ont permis de se faire entendre de leurs partenaires privés et publics, et peut-être même, si l'on en juge à travers les résultats des fêtes, par les lecteurs. Alors que leurs fournisseurs annoncent les uns après les autres des mesures commerciales plus favorables à la librairie, les pouvoirs publics viennent d'annoncer des actions d'accompagnement dans le cadre d'une mission sur l'avenir de la librairie (lire p. 58) et d'octroyer aux professionnels du livre un délai de trois mois pour l'application de la hausse de TVA à 7 %. Pour les libraires, à défaut de l'annulation de la hausse, c'était le minimum nécessaire à leur survie. Ils ont su en outre convaincre beaucoup d'éditeurs de la répercuter sur leurs prix de vente, conformément au principe de neutralité de la TVA pour les professionnels.

"IL N'Y A PAS EU DE DÉSAFFECTION»

Parallèlement à cette mobilisation sans précédent en leur faveur, les libraires ont eu l'heureuse surprise, lors des fêtes de fin d'année, de voir le livre confirmer son statut de valeur refuge. Peu cher et valorisant, ce dernier séduit en temps de crise. Résultat, beaucoup de magasins affichent une hausse d'activité en décembre, après trois mois consécutifs de baisse. "Compte tenu du contexte économique et de toute la pub qui a été faite autour du numérique et des tablettes, c'est rassurant de voir qu'il n'y a pas eu de désaffection, observe Xavier Moni (Comme un roman à Paris). La librairie est encore là. Il faut compter avec. C'est une motivation pour aborder 2012 et continuer à faire avancer les choses avec les diffuseurs."

Sur ce point, en effet, l'année démarre bien. Après Hachette et Gallimard, qui ont annoncé des mesures commerciales respectivement en mai et en novembre, trois autres grands diffuseurs, à savoir Flammarion, le CDE et Volumen, annoncent à leur tour une révision de leur politique en faveur de la librairie indépendante (lire p. 17) avec le souci d'améliorer à la fois la marge et la trésorerie des libraires.

Pour beaucoup d'intéressés, ces efforts "commencent vraiment à se rapprocher de ce qui est demandé. Reste à poursuivre le mouvement et à le généraliser". C'est d'autant plus important que l'année 2012 s'annonce compliquée sur un plan commercial avec un pouvoir d'achat toujours plus faible, l'élection présidentielle et la montée du numérique

Ventes des fêtes : bon pour le moral

 

Pour Noël, les consommateurs ont retrouvé le chemin des librairies et 2011 se termine finalement, pour beaucoup d'entre elles, mieux qu'elles ne l'espéraient.

 

Sélection de Noël dans la librairie Comme un roman, à Paris- Photo LAURENT SAZY

Ouf ! C'est le soulagement qui domine au terme d'un mois de décembre que la plupart des libraires jugent correct, et même, pour certains, très satisfaisant. C'est une excellente surprise, qui vient opportunément doper un moral jusqu'ici en berne. "C'était super, lance Nathalie Iris (Les Mots en marge à La Garenne-Colombes). A partir du 15 décembre, c'est allé crescendo sans discontinuer jusqu'au 24." Beaucoup évoquent en effet un démarrage des ventes assez lent et souvent une activité erratique et imprévisible tout au long du mois, avec notamment une journée record, non pas le 24, mais le 23. Les libraires ont été heureux de constater que l'activité des derniers jours leur permettait de rattraper le chiffre d'affaires manquant et de finir décembre souvent en positif. L'inquiétude était grande après plusieurs mois de baisse qui ont culminé en novembre avec, selon nos données Livres Hebdo/I + C, un recul d'ensemble de 4,5 % (voir p. 39). Par simple effet calendaire, la comparaison avec décembre 2010 s'annonçait favorable avec deux samedis supplémentaires. D'autant que les intempéries avaient handicapé l'ensemble des commerces.

LES RÉSULTATS SONT LÀ

Vitrine de fête au Préau, à Metz- Photo DR

Au-delà des comparaisons, les résultats sont là et certains libraires ont même battu des records : "C'est, en termes de chiffre d'affaires, le meilleur mois de la librairie depuis sa création il y a 18 ans", se félicite Jean-Bernard Doumène (L'Autre Rive à Nancy). Tendance également très positive au sein de La Friche (Paris 11e) qui, selon Manuel Huriot, "a battu le 23 décembre son dernier record de chiffre d'affaires, qui avait été atteint l'an dernier". Bien sûr, tous les libraires ne sont pas aussi enthousiastes. Mais beaucoup estiment avoir "réussi à sauver les meubles".

Sans donner aucun chiffre ni aucune tendance, Marie-Séverine Micaleff, directrice du livre de la Fnac, observe que "le livre a confirmé être une valeur refuge, un cadeau que l'on offre volontiers... avec, en magasin, une tendance toujours croissante à la concentration des achats les derniers jours avant Noël".

GRÂCE À LA FRÉQUENTATION

"Je n'ai jamais fait autant de paquets cadeaux pour des livres de poche" PATRICK BOUSQUET, LIBRAIRIE NORDEST, PARIS- Photo O. DION

Globalement, les libraires attribuent leurs résultats satisfaisants essentiellement à la fréquentation de leurs magasins. De toute évidence, les consommateurs n'ont pas hésité à venir chercher des conseils en librairie. A La Rose des vents à Dreux, Frédérique Massot constate ainsi que parmi ses meilleures ventes figurent nombre de ses coups de coeur. Idem pour Nathalie Iris qui compte L'enfant rieur d'Henri Bauchau, son livre préféré, parmi ses très bonnes ventes. Les efforts d'animation ont eux aussi payé si l'on en croit Julie Even (Le Préau et La Cour des grands à Metz) qui a proposé en décembre un coin café, ou encore les libraires du Merle moqueur (Paris) qui ont tenu un marché de Noël dans leurs murs. "Si la fréquentation a été très importante, le panier moyen est en revanche resté stable", observe Emmanuelle Robillard (Mollat à Bordeaux), estimant que la nouvelle carte de fidélité du magasin, permettant une remise immédiate de 5 %, a joué favorablement. A côté de la hausse de fréquentation, beaucoup observent de même une érosion du panier moyen d'achat. "Je n'ai jamais fait autant de paquets cadeaux pour des livres de poche, souligne Patrick Bousquet (Nordest à Paris). Contrairement à l'habitude, les gens ne se sont jamais lâchés sur les achats."

Dans ce contexte, le rayon beaux livres a été quelque peu délaissé et l'offre éditoriale n'a pas réussi à inverser la tendance. Seuls les beaux livres à moins de 50 euros ont à peu près réussi à tirer leur épingle du jeu.

La fin d'année a aussi été difficile en sciences humaines, en particulier en histoire... au-delà même du contrecoup lié à l'absence du phénomène de l'an dernier, Indignez-vous ! de Stéphane Hessel.

A l'inverse, les secteurs jeunesse et surtout bandes dessinées ont particulièrement bien marché, aux dires de très nombreux libraires. Ce que Xavier Moni (Comme un roman à Paris) explique par l'offre non seulement porteuse mais aussi adaptée aux propositions des librairies généralistes, citant notamment Les ignorants d'Etienne Davodeau chez Futuropolis et Les chroniques de Jérusalem de Guy Delisle, chez Delcourt (voir p. 43).

TVA À 7 % AU 1er AVRIL, LES TRAVAUX CONTINUENT

Quatre jours avant Noël, les députés ont voté les trois mois de délai dans l'application de la TVA à 7 % sur le livre papier que les libraires demandaient, à défaut de la suppression de cette hausse. Un report que tous les acteurs concernés utilisent pour s'organiser au mieux de leurs intérêts ou leurs obligations face à cette disposition. Dilicom et Electre, les bases de données commerciales et bibliographiques du livre, vont redéfinir leur planning de mise à jour des données, en fonction des délais nécessaires aux sociétés de gestion des back-offices des librairies, et de la collecte des informations auprès des diffuseurs-distributeurs. Ces derniers attendent les décisions des éditeurs, qui profitent des quelques semaines supplémentaires pour reprendre leurs calculs, notamment à propos de ces fameux prix psychologiques, ainsi que l'explique Hachette Livre. Le Syndicat de la librairie française va intensifier son travail de sensibilisation auprès des éditeurs, contactés par courrier en novembre et maintenant appelés au téléphone : il faut répercuter la hausse sur le prix TTC, martèlent les libraires, qui y perdraient sur leur marge en cas de maintien du prix public, et donc de baisse des prix nets. Gallimard a déjà décidé d'appliquer intégralement cette hausse, y compris sur les Folio, en ajoutant aussi l'augmentation due à l'inflation (voir Livreshebdo.fr), sauf pour les titres à 2 euros. Leduc.s augmentera aussi ses tarifs, poches compris, de même que Gisserot, qui "maintiendra ses prix nets", malgré l'importance des titres à 2 euros dans son fonds.

Pierre-François Racine voit sa mission d'accompagnement prolongée et prévoit maintenant d'examiner le traitement des retours après le 1er avril, l'incidence du nouveau taux sur le remboursement forfaitaire de TVA accordé aux auteurs, la campagne d'information du public, la mise en place d'un dispositif d'observation des prix et une éventuelle contribution financière du Centre national du livre. Le conseiller d'Etat se dit aussi à l'écoute de la profession pour vérifier la pertinence du plan de travail qu'il s'est fixé.

Les diffuseurs passent à l'action

 

Des mesures commerciales en faveur des librairies indépendantes de qualité entrent en application dès janvier.

 

Après un travail de concertation de plus de six mois avec les éditeurs et les libraires, plusieurs grands diffuseurs annoncent pour ce début d'année 2012 de nouveaux dispositifs commerciaux avec la volonté affichée d'aider prioritairement les librairies indépendantes de qualité.

Premier à passer l'action, Flammarion a revu ses conditions générales de vente (CGV) et applique, depuis le 1er janvier, pour tous les éditeurs que la structure diffuse, une politique visant à améliorer à la fois les marges et la trésorerie des libraires. Concernant les marges, elle a mis en place un nouveau barème de chiffre d'affaires qui permet, avec une meilleure définition des critères qualitatifs, d'abaisser les paliers donnant accès à des remises supérieures. Et de manière plus large encore, elle a instauré une surremise permanente sur les fonds de plus de deux ans. Finalement, "aucun libraire satisfaisant aux critères qualitatifs ne devrait avoir une remise inférieure à 37 %", estime Pascale Buet, directrice commerciale, qui explique que ces nouvelles mesures seront assumées par la diffusion et la distribution. Parallèlement, pour améliorer les trésoreries, Flammarion a réduit de 60 à 30 jours ses crédits liés aux retours. Informés dans le courant de décembre de ces évolutions, les libraires saluent volontiers ces initiatives qu'ils qualifient de "première vraie avancée".

Après Gallimard qui, dès le début de novembre, a fait part, pour la diffusion des ouvrages paraissant sous sa marque, d'une nouvelle politique concernant à la fois ses remises minimales et sa rémunération du travail sur les collections de fond, la filiale de diffusion du groupe, le CDE, a elle aussi finalisé de nouvelles mesures commerciales qui s'appliqueront durant janvier. D'une part, pour toutes les librairies indépendantes réalisant plus de 50 % de leur chiffre d'affaires avec le livre, le diffuseur instaure une remise de base de 35 % impliquant l'ensemble des éditeurs diffusés puisque ce sont eux qui prendront à leur charge le surplus de remise qui devrait concerner quelque 450 points de vente, estime Mathias Echenay, directeur général du CDE. D'autre part, un dispositif plus pointu se met en place avec une vingtaine d'éditeurs, dont Les Arènes, Oliver Gallmeister, Liana Levi, les filiales éditoriales de Gallimard (Denoël, Mercure de France, P.O.L...), pour une cinquantaine de libraires sélectionnés sur la base de quatre critères essentiellement qualitatifs : animations, choix des ouvrages, qualité du fonds et évolution de l'activité par rapport au secteur.

UN DOUBLE VOLET

"C'est une sorte d'accord, explique Mathias Echenay, que passent les parties entre elles avec un double volet. D'une part, chacun s'engage à échanger davantage d'informations, d'analyses, de statistiques en vue d'améliorer les ventes et de baisser les retours. D'autre part, le CDE et les éditeurs qui le souhaitent s'engagent à octroyer des remises arrière pouvant représenter, pour les libraires, un supplément de près de 2 % en fin d'année." S'appuyant sur les représentants et leurs connaissances du terrain, les nouvelles mesures ont pour objectif "d'aider des libraires motivés et dynamiques, dont les remises sont actuellement comprises entre 37 % et 39 %, à améliorer encore les conditions d'exercice de leur métier".

Peu disert, Volumen annoncera également, durant la deuxième quinzaine de janvier, des mesures en cours de finalisation. "Avec les représentants et les directeurs des ventes, nous avons travaillé sur de nouvelles CGV pour 2012, déclare laconiquement Karima Gamgit, directrice de Volumen. Parallèlement, avec une vingtaine d'éditeurs, nous finalisons des accords de partenariat pour aider, plus particulièrement, une centaine de libraires de qualité. » La révision des CGV tendrait à augmenter les points liés au qualitatif ; de plus, les accords permettraient aux éditeurs d'accorder des surremises aux libraires sélectionnés.

CINQ DES SIX PLUS GRANDS DIFFUSEURS

>Avec Hachette qui a annoncé en mai des mesures pour les librairies labellisées Lir, dont la principale concerne le raccourcissement des crédits liés aux retours, cinq des six plus grands diffuseurs ont ainsi, à des degrés variables, fait écho à l'appel lancé par les libraires lors des Rencontres de Lyon en mai dernier. Dans ce contexte, les libraires s'étonnent du silence manifesté par Interforum, qui n'a pas souhaité faire connaître l'état de ses réflexions sur le sujet.

Du côté des plus petites structures, des mesures de soutien ont aussi été annoncées. C'est notamment le cas chez Harmonia Mundi qui entend d'abord gratifier les librairies maîtrisant leurs retours et les aider à développer leurs fonds grâce à des dépôts facturés à un an. Par ailleurs, dès fin mai, L'Ecole des loisirs a décidé de relever à 37 % sa remise de base à compter du 1er juillet. Enfin, Le Dilettante vient aussi de remonter de 1 à 2 points la remise de plus de 300 libraires (2).

Pour Laurent Beccaria, responsable des éditions des Arènes, qui à Lyon avait réclamé « 40 % de remise pour tous », toutes ces initiatives témoignent de l'enclenchement d'un "vrai mouvement de soutien à la librairie qui ne doit toutefois pas s'arrêter là !" D'ailleurs, au-delà des groupes évoqués, d'autres encore, comme MDS et Actes Sud, laissent entendre que de nouveaux dispositifs sont aussi en préparation de leur côté.

(1) Voir LH 884 du 4.11.2011 p. 14.

(2) Voir LH 888 du 2.12.2011 p. 48.

DANS LA HOTTE NUMÉRIQUE

"Les ventes de livres numériques en décembre ont dépassé celle de l'ensemble du trimestre précédent, même à périmètre égal, hors effet du lancement du Kindle d'Amazon", se félicite Eric Marbeau (Gallimard). La Fnac et son partenaire Kobo font jeu égal avec Amazon, mais ces deux leaders n'ont pas écrasé les autres revendeurs, et notamment des indépendants qui connaissent aussi de fortes progressions, tels Mollat, Sauramps, le Furet du Nord en France, Payot en Suisse, Filigrane ou Tropisme en Belgique, insiste le responsable des partenariats et de la diffusion numérique chez Gallimard, sans toutefois donner de chiffres. La plateforme Immatériel.fr, qui propose 12 000 ebooks en diffusion-distribution, a constaté une progression de 40 % par rapport à novembre, précise Xavier Cazin, son responsable. L'effet cadeau des liseuses offertes à Noël a donc joué, mais le volume de ventes des appareils relève du quasi-secret défense. La Fnac et Actissia mentionnent juste qu'en deux mois elles ont dépassé celles de l'année précédente.

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