"On ne naît pas homme, on le devient." C'est par cette phrase fameuse d'Erasme, qu'il applique à l'université vue idéalement comme essence de l'entreprise humaniste, que Simon Leys referme la porte sur Le studio de l'inutilité, son nouveau livre. On s'autorisera à y lire comme une clé de compréhension du projet de Leys. Dans ce Studio (titre emprunté aux jeunes années hongkongaises de l'auteur, lorsque avec quelques amis, en un même lieu modeste, l'étude et la vie étaient intimement mêlées), Simon Leys se promène de l'une à l'autre de ses dilections premières : la littérature, la Chine, la mer... Il le fait avec une grâce, une érudition, un humour qui ne sont qu'à lui. Que ce soit, parmi beaucoup d'autres, à propos du "vitalisme" de Chesterton, du dialogue amical entre Camus et Milosz, de la trajectoire du prince de Ligne à travers son siècle ou des errements de Roland Barthes faisant allégeance à la révolution culturelle chinoise, chacun de ces textes est sous-tendu par une belle exigence et mû par la compréhension intime des ressorts de la création. Ainsi d'ailleurs que par la rigueur de l'historien et du sinologue, mais aussi celle du marin... Nulle cuistrerie dans ces pages, juste la volonté de son auteur de ne pas se laisser épingler en l'une ou l'autre de ces postures. Leys est tout cela (historien, sinologue, polémiste à l'occasion, plus journaliste qu'il ne l'estime, un peu philosophe...), il est avant tout écrivain, des confins, des limites, de l'entre-deux et c'est en cela que, quels que soient leurs sujets, ses textes sont toujours des récits de voyages... Ce vagabondage amoureux est peut-être en matière de "coq-à-l'âne littéraire" ce qu'on peut lire ces temps-ci de plus stimulant.
Comme l'est également la morale de toute cette histoire, de toutes ces histoires, qui voudrait que la gourmandise de l'étude, le plaisir du texte soient les plus efficaces pare-feu aux discours lénifiants des "déclinistes" de toutes obédiences déguisant leur paresse en prophétie du désastre. Qui lira verra.