5 novembre > Anthologie France

Elle ne prévient jamais, mais on n’a guère le choix que de l’accueillir. Même les puissants et les célébrités, qui ne lui ont pas toujours déroulé le tapis rouge. Du "Je veux vivre… Je veux vivre. J’ai tant de choses à faire" d’Apollinaire, emporté à 38 ans par la grippe espagnole au sortir de la Grande Guerre, au simple "aime" du monstre sacré du théâtre, Sarah Bernhardt, quasi octogénaire, la main posée sur la tête d’un jeune comédien de sa troupe venu à son chevet, voici réunies quelque 80 citations "des plus grands". Ultimes de Philippe Nassif est une anthologie de bons mots sur lit de mort. Morts imaginaires de Michel Schneider (Grasset, 2003, repris en "Folio") partageait certes le même principe, mais le côté pop de l’auteur de Bienvenue dans un monde inutile fait se côtoyer à la fois Jean-Sébastien Bach, Victor Hugo, Winston Churchill et Kurt Cobain. Sa forme est moins discursive que pratique, un florilège aux allures de guide, page de gauche : la fameuse phrase en regard de la notule biographique. L’épithète "ultime" est à comprendre de deux façons - la dernière des paroles prononcées mais également la plus essentielle, celle sous laquelle se subsume le sens d’une existence, comme le "Rosebud" du héros de Citizen Kane d’Orson Welles. Comme on sait, les ultima verba ne sont pas toujours les véritables dernières paroles d’un moribond, qui plus est lorsqu’il a quelque notoriété. "Se non è vero è ben trovato", comme disent les Italiens : l’esprit humain a peu de goût pour l’absurdité et trouve quelque consolation dans le fait que le dernier mot puisse faire conclusion et éclairer toute une vie. Pessimisme tempéré pour le poète lusitain : "Je ne sais pas de quoi demain sera fait" (Pessoa) ; élégance et bon sens de la part du nouvelliste dramaturge et médecin russe : "Cela faisait longtemps que je n’avais pas bu de champagne" (Tchekhov) ; ironie suprême du dandy irlandais devant la laideur de la décoration de sa chambre d’hôtel : "Ou c’est ce papier qui disparaît, ou c’est moi" (Oscar Wilde).

Ultimes est une espèce de bréviaire plaisant mais non moins profond qui, à la manière des artes moriendi du Moyen Age, petits livres destinés à méditer sur notre fin et à nous apprendre à mourir, nous incite à réfléchir et à préparer, pourquoi pas, notre dernier mot. Sean J. Rose

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