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Il va donc falloir faire le (maigre) bilan, chapitre par chapitre, de la très décevante « Loi Création, architecture et patrimoine », votée définitivement en ce début d‘été 2016.

Un texte incomplet de plus, qui dénote une fois encore l’absence de vraie vision de la politique culturelle ; et qui viendra donc s’ajouter lors d’une nouvelle édition du recueil imposant qu’a récemment publié la Documentation française, intitulé Les Politiques de la culture en France et réalisé par Philippe Poirrier. La lecture de cette suite de cent trente textes, pensées entre 1790 et 2015, est instructive et rend d’autant plu cruelle l’examen de la nouvelle loi.   
       
Pour l'heure, intéressons-nous d'abord à sa petite soeur, la loi sur la République numérique, qui consacre en droit français l’« exception de panorama ». Il s’agit là de la libre exploitation des images d’œuvres protégées par le droit d’auteur, mais qui figurent dans l’espace public.

Rappelons que le Code de la propriété intellectuelle (CPI) dispose, en son article L. 112-2, que sont considérées « comme œuvres de l'esprit au sens du présent code (...) les œuvres de dessin, de peinture, d'architecture ».

Les œuvres des architectes sont protégeables au titre de la propriété littéraire et artistique, tout comme les sculptures exposées sur les places publiques, les fresques qui habillent les murs aveugles, les fontaines et autres stations de tram commandées à des artistes ; sans compter les graffs et les immanquables œuvres d’art giratoire, qui figurent – et parfois défigurent... - au centre de chaque rond-point.

Des monuments au Street Art

Et il est en pratique encore assez rare que l’administration se soit fait céder par un architecte le droit d’exploitation de l’image du bâtiment ou de l’œuvre commandés. C’est pourquoi les auteurs de célèbres monuments ou œuvres d’art plastique peuvent agir en justice contre les éditeurs, notamment de livres, qui ne leur ont pas demandé d’autorisation et pas versé de droits. Cela a été le cas de la Pyramide du Louvre, de la Grande Arche de la Défense, des stabiles de Calder, etc. Plus récemment, le Street Art a donné lieu également à des empoignades juridiques qui rappellent la force de la conception continentale du droit d’auteur.

La jurisprudence dénie toutefois tout droit patrimonial aux architectes et plasticiens, quand la reproduction de leur œuvre est fondue dans une plus vaste vue d’ensemble. Ainsi la reproduction non autorisée de la Géode comme sujet central d’une carte postale a t’elle été jugée comme une contrefaçon, alors que sa présence dans un cliché plus large du XIXe arrondissement de Paris – où elle voisine aux côtés de la nouvelle Philharmonie, du Zénith, de la Cité de la musique ou encore de la Cité des Sciences - serait admise librement.

De même, les juges considèrent que l’on peut s’exonérer de solliciter une autorisation d’un sculpteur, et a fortiori de lui verser de droits, lorsque la statue reproduite n’est pas le sujet principal de l’image, mais que celui-ci est constitué par un défilé ou une cérémonie, qui ne pourrait être filmée ou photographiée sans l’œuvre protégée.

Il a été jugé à propos de Daniel Buren et Christian Drevet, qui ont réaménagé la place des Terreaux à Lyon. Les deux créateurs ont poursuivi les éditeurs de cartes postales qui reproduisaient la place et, ce faisant, les œuvres de ces artistes. Le Tribunal de grande instance de Lyon a estimé, le 4 avril 2001, que « l’intrication entre patrimoine historique et aménagement moderne est telle qu’elle interdit en pratique de distinguer les deux éléments ».

Ces nuances apportées au régime de la propriété littéraire et artistique sont des créations jurisprudentielles, la loi ne comportant pas de telles exceptions.

Une exception pour la presse

Toutefois, en 2006, l’article L. 122-5 du CPI a été modifié par l’ajout d’un alinéa visant au titre des exceptions aux droits patrimoniaux des auteurs : « La reproduction ou la représentation, intégrale ou partielle, d'une oeuvre d'art graphique, plastique ou architecturale, par voie de presse écrite, audiovisuelle ou en ligne, dans un but exclusif d'information immédiate et en relation directe avec cette dernière, sous réserve d'indiquer clairement le nom de l'auteur.  (…) les reproductions ou représentations qui, notamment par leur nombre ou leur format, ne seraient pas en stricte proportion avec le but exclusif d'information immédiate poursuivi ou qui ne seraient pas en relation directe avec cette dernière donnent lieu à rémunération des auteurs sur la base des accords ou tarifs en vigueur dans les secteurs professionnels concernés. »

En clair, cela signifie que la presse a réussi à faire inscrire dans la loi, et à son seul profit, une exception qui s’apparente à ce que d’autres pays dénomment « droit de panorama » ou « liberté de panorama ».

Ce « droit » permet de reproduire ou de représenter sans autorisation et rémunération les œuvres situées de manière permanente dans l’espace public.
Le droit de panorama est une des exceptions que proposait la directive européenne sur le droit d'auteur de 2001. La France avait alors choisi de ne pas opter pour la transposition de cette exception, qui n’était pas obligatoire.

Depuis lors, le parlement a connu une tentative, vaine, en 2011, de faire inscrire en droit français le droit de panorama. Ce droit existe, sous des formes très différentes, en Allemagne, en Grande-Bretagne, en Suisse ou encore en Malaisie.

Débat politique

Cette liberté de panorama est toutefois revenue récemment sur le devant de la scène française, à l’occasion du projet de la loi « pour une République numérique », dite loi Lemaire. Axelle Lemaire, Secrétaire d’Etat au Numérique avait évoqué, dès mars de 2015, lors de son audition par la « Commission numérique » de l’Assemblée nationale le contenu de sa future loi numérique. Elle a indiqué qu’y figurerait une disposition visant à instaurer un « droit de panorama ». Il s’agit là de la libre exploitation des images d’œuvres protégées par le droit d’auteur mais qui figurent dans l’espace public.
     
En évoquant un possible « droit de panorama », Axelle Lemaire s’est attirée les foudres de l'A.D.A.G.P. (Association de Défense des Arts Graphiques et Plastiques), la société de gestion collective qui gère les droits de nombreux architectes et plasticiens.

Las, le projet a été ensuite repris dans le projet de « Loi Création, architecture et patrimoine ».
Ce projet de loi a été arbitré en commission mixte paritaire, notamment parce que les textes adoptés respectivement par l’Assemblée, le 26 janvier 2016, et par le Sénat, le 3 mai 2016 diffèrent légèrement quant à la rédaction de l’exception de panorama.

Ainsi, l’Assemblée avait adopté que l’auteur ne pourrait interdire :
« Les reproductions et représentations d'œuvres architecturales et de sculptures, placées en permanence sur la voie publique, réalisées par des particuliers à des fins non lucratives. » ;

Tandis que le Sénat préférait voter que seraient autorisées :
« Les reproductions et représentations d’œuvres architecturales et de sculptures, placées en permanence sur la voie publique, réalisées par des personnes physiques, à l’exclusion de tout usage à caractère directement ou indirectement commercial. ».
        
Reste que, au final, l’exception de panorama entre donc en vigueur en droit français. Soulignons à ce titre que le droit au respect du nom, qui est un des attributs du droit moral des créateurs, imposera toujours de mentionner le patronyme de l’architecte ou de l’artiste sur toute reproduction de son œuvre
Dans un cadre européen, aucun projet n’a été, pour l’heure, proposé par l’UE pour rendre la liberté de panorama obligatoire dans les Etats membres.

En décembre 2015, la Commission européenne avait indiqué qu’elle allait évaluer « l'opportunité de réduire l’incertitude juridique pour les internautes qui mettent en ligne leurs photos de bâtiments et d’œuvres d’art situés de manière permanente dans des lieux publics ».

Les travaux sont en cours et la Commission a même récemment lancé une consultation publique sur le rôle des éditeurs dans la chaine de valeur du droit d’auteur et sur l’exception de panorama. Cette consultation devait ainsi notamment servira à recueillir des contributions pour l’analyse de la Commission concernant le cadre législatif actuel sur l’exception de panorama. La consultation, ouverte tant aux Etats membres, aux auteurs, aux utilisateurs ou encore aux éditeurs, s’est achevée le 15 juin 2016. 

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