Mutations dans la librairie/2

L’heure des techno-libraires

Librairie Millepages, Vincennes. - Photo photo olivier dion

L’heure des techno-libraires

Les progrès des nouvelles technologies ont permis d’introduire en librairie de nouveaux outils de gestion qui font évoluer le métier. Deuxième volet de notre série sur les mutations et l’innovation en librairie.

J’achète l’article 1.5 €

Par Clarisse Normand
Créé le 18.05.2018 à 10h30

S’appuyant de plus en plus sur le traitement de données dématérialisées, le commerce est devenu technologique", observe le consultant Philippe Moati. Logiciels de gestion, échanges de données informatisées (EDI), bases de données bibliographiques enrichies, fichiers clients, CRM ou GRC (gestion des relations clients), mais aussi site Internet, réseaux sociaux… Autant d’outils qui ont aujourd’hui leur place en librairie. "C’est ça ou mourir", lance Charles Kermarec, le P-DG de Dialogues, à Brest, à l’origine du portail Leslibraires.fr et des outils de gestion Fidélivres et Gestock.io.

Face à la concurrence de la grande distribution et des sites Internet, les libraires se sont dotés d’outils pour gagner en productivité, en qualité de service, et enfin pour améliorer leurs relations avec leurs clients. Ces évolutions ont un impact sur l’organisation, mais aussi sur le contenu de leur travail, contribuant à la professionnalisation du métier, car il ne suffit plus d’être un bon connaisseur de livres, il faut être un bon gestionnaire, et désormais aussi un bon communiquant.

Gagner en productivité

Les outils et les structures développés par l’interprofession pour faciliter les transmissions dématérialisées d’informations, des commandes aux retours, ont permis, depuis les années 1980, d’importants gains de temps qui vont se poursuivre avec la généralisation des factures électroniques. Par ailleurs, de nouveaux outils informatiques permettent d’automatiser certaines tâches du back-office et d’augmenter encore la productivité. Directrice projets et qualité chez Mollat (Bordeaux), Emmanuelle Robillard explique que "le nouvel outil de gestion Bookshop permet désormais à un réceptionnaire qui traitait deux palettes par jour d’en traiter six". Dans la plupart des points de vente où le libraire fait lui-même les réceptions, "tout ce qui permet de traiter rapidement les livres qui arrivent est important vis-à-vis des clients de plus en plus exigeants sur les délais", note Matthieu de Montchalin (L’Armitière, Rouen). Mais pour Bertrand Picard, consultant en librairie, "l’intérêt de ces nouveaux outils est surtout de permettre au libraire de dégager du temps pour être en magasin et servir le client".

Mieux piloter l’activité

A côté des logiciels de gestion, qui évoluent vers des applications Web plus mobiles et plus légères, sans serveur local, ce qui a permis chez Mollat "de supprimer un poste d’informaticien au profit d’un poste supplémentaire de libraire", explique Emmanuelle Robillard, des outils de pilotage se développent pour aider les libraires à mieux gérer leurs stocks, leurs achats et leurs ventes.

Ce mouvement est nourri par les intéressés eux-mêmes, qui ont fait développer des outils basés sur un partage d’informations commerciales et d’indicateurs économiques. Le SLF a créé l’Observatoire de la librairie et l’outil Verso, le groupement Libraires ensemble la plateforme Infocentre, et le groupement GLBD un observatoire des ventes qui "sert aussi à négocier à l’échelle du groupement avec les diffuseurs", observe Daniel Coÿne (Super Héros, Paris). En phase de lancement, Edelweiss vise de son côté à faciliter l’accès aux informations sur les nouveautés à paraître. Reste que "toutes les données fournies par ces outilsdoivent être interprétées", note Richard Dubois, directeur commercial de Gibert Joseph. Cela renvoie à la question de la formation.

Fidéliser le client

Le client étant aujourd’hui au centre des politiques commerciales, mieux le connaître pour mieux le servir, et ainsi le fidéliser, est devenu un enjeu majeur, et les fichiers clients, construits autour d’informations qualifiées, une véritable richesse. "C’est ce qui permet de s’adresser de manière fine au consommateur en lui envoyant des informations ciblées qui l’intéressent vraiment, que ce soit sur des rencontres ou des parutions d’auteurs", explique Rémy Ehlinger, gérant de Coiffard (Nantes), qui s’est doté d’un outil CRM proposé par Shopper Strategy l’aidant à exploiter les données recueillies.

Généralement, les résultats sont là. Charles Kermarec observe qu’avec Fidélivres et l’envoi ciblé de mails "le taux d’ouverture des messages dépasse les 50 % (contre 6 % en moyenne) et génère 5 à 10 % de ventes (contre 2 % en moyenne)". Les nouveaux outils de gestion permettent aussi d’améliorer la qualité de service, par exemple en informant les clients par SMS de la réception d’un livre commandé. Ils permettent de nouer avec eux des liens privilégiés à travers des gratifications particulières (soirées, rencontres…). En parallèle, les libraires, comme les autres commerçants, s’efforcent de garder le contact avec leur clientèle en dehors du magasin en utilisant un site Internet et par le truchement des réseaux sociaux. Ceux qui en ont les moyens créent même de nouveaux postes. Martelle (Amiens) a embauché depuis six mois un community manager pour alimenter en contenus son site Internet et ses réseaux sociaux.

Vendre plus

Car l’objectif ultime, celui qui a conduit les libraires à se doter de sites Web permettant au client de réserver voire d’acheter des livres à distance, reste de vendre plus. "L’objectif est d’apporter un service qui fasse sens pour un commerce physique", observe Sophie Saint-Marc, déléguée générale de l’Association des librairies informatisées et utilisatrices de réseaux électroniques (Alire). D’où le choix de nombreux libraires de privilégier la réservation et le retrait en magasin plutôt que l’expédition. Pour disposer de sites Internet visibles et capables de proposer une offre large, tout en réduisant les coûts d’investissement, les libraires ont bien compris l’intérêt de la mutualisation.

En témoignent les différents portails créés par un syndicat ou un groupement parmi lesquels Librairiesindependantes.com, Lalibrairie.com, Leslibraires.fr, Placedeslibraires.fr, ou encore Chez-mon-libraire.fr pour la région Rhône-Alpes, et Canalbd.net pour les spécialisés BD.

Face à tous ces outils de gestion, pointus et performants certes, mais aussi parfois compliqués à bien manipuler et chronophages, les libraires n’affichent pas tous le même intérêt. Si les échanges de données informatisées font l’unanimité, les observatoires et outils de CRM laissent plus circonspects. Pour Guillaume Gandelot (La Friche, Paris), "ce sont des outils de direction utiles pour croître, mais il faut du temps et des connaissances pour bien s’en servir. Je préfère passer ce temps en magasin avec le client. Par ailleurs, en se comparant, n’y a-t-il pas un risque d’uniformisation des fonds ?". Une appréhension que Nina Stavisky, ex-chargée de mission pour l’Observatoire de la librairie, devenue directrice commerciale chez Leslibraires.fr, relativise. Selon elle, ces outils sont là pour aider le libraire à fournir un meilleur service, non pour se substituer à lui.

Les dernières
actualités