Ce fut un long chemin, bordé de fantômes et de fausses pistes, que celui qui mena Jon Kalman Stefansson de son Reykjavik natal jusqu’à cet hôtel de luxe du Quartier latin bordant les locaux de son nouvel éditeur français (il s’est "contenté", par la force de l’amitié, de suivre Jean Mattern de Gallimard à Grasset). Sec, affable, barbe et cheveux roux, décontracté, le quinquagénaire y reçoit les lecteurs éblouis de son nouveau roman, Asta. Peut-être le plus dense et le plus ambitieux de ses livres, assurément l’un des plus beaux. Une promenade entre l’amour et la mort, entre villes et campagne, entre l’Islande, l’Autriche, la Norvège qui déploie son lyrisme ample et poétique en même temps que son réalisme pétri d’humanité sur plusieurs décennies.
C’est un roman d’amour et de mélancolie. La Asta du titre en est l’héroïne, fille puis femme égarée sur les sentiers de son désir, de son indépendance, de sa peur. Elle aimera un homme, Josef, qu’elle ne saura se résoudre à perdre tout à fait ou à prendre complètement. Elle voyagera, toujours sur le fil du rasoir comme sur la ligne d’horizon. Autres protagonistes (parmi beaucoup, tous impeccablement "dessinés"), ses parents, Sigvaldi et Helga, eux aussi en quête d’une identité qui leur file entre les doigts, de la promesse de la paix.
Capturer la voix
Asta, c’est une de ses tantes maternelles, reconnaît Jon Kalman Stefansson. "J’ai toujours su que j’allais écrire sur elle, mais chaque livre a ce que j’appelle "son heure des visites". Il m’a fallu attendre de sentir que le moment était venu." Cela dit, il lui a quand même fallu s’y reprendre à trois fois pour capturer enfin "la voix" de ses personnages. Rien d’inquiétant pour un romancier qui revendique "qu’écrire, c’est d’abord dépasser les échecs précédents, ensuite capturer l’ensemble de la vie".
Pour Jon Kalman Stefansson, l’écriture fut mieux qu’un choix, un destin, puisque rien dans son histoire ne l’y prédestinait. Issu d’un milieu modeste, s’il fut dès l’enfance un lecteur vorace, ses premiers désirs l’amenèrent d’abord vers l’astronomie. Successivement maçon, pêcheur, abatteur de moutons, et même bibliothécaire, il ne commence réellement à écrire qu’à 21 ans. "Je sentais en moi des "courants" que je ne comprenais pas. Il me fallait écrire." Ce sera d’abord de la poésie, avec dès 1988 la publication d’un premier recueil, puis, sans qu’il comprenne vraiment à quelle nécessité cela répondait, le roman dès 1996. Le pli romanesque est pris, il ne s’en éloignera plus. Son pays lui fait la fête, l’Allemagne et la France (première traduction, Entre ciel et terre, Gallimard, 2010) lui emboîtent le pas. Cela réjouit cet amoureux de Paris et des longs chemins de la vie qui mènent d’une ville de pêcheurs à un hôtel de luxe, avec étapes à chaque roman. Olivier Mony
Jon Kalman Stefansson, Asta, Grasset, traduit de l’islandais par Éric Boury, Prix: 23 EUROS, 492 p., Sortie: 29 août, ISBN: 978-2-246-81593-8